Cultiver, fermenter, évaporer, ça a l’air si simple…
L’art de distiller est vieux comme le monde – on en trouve les traces les plus anciennes en Egypte au 3e siècle avant notre ère - et appartient d’abord au monde des savants, des médecins et des apothicaires puis à celui des paysans. Art de transformation de la matière et de création de remèdes à base de fruits, de plantes, de légumes ou de grains, nos anciens ont inventé le si joli mot de quintessence en parlant de distillation, comme s’ils avaient trouvé le cinquième élément. Le mot de spiritueux vient d’ailleurs de spirit, esprit, comme le souffle de la matière.
On imagine bien le bouilleur ambulant allant de hameaux en villages sur les routes fleuries en criant « ALAMBIC ! » comme les anciens vendeurs de carreaux ou les affûteurs de couteaux et ciseaux.
Sauf que le monde de la distillation artisanale est un vrai monde à part et qu’il est un poil plus…alambiqué – et oui je l’ai dit – que cette image d’Epinal. Je dis distillation artisanale parce que les produits distillés sont à 99,9% industriels ce qui laisse peu de place à la survie d’un savoir-faire pourtant ancestral.
Tout le monde peut-il distiller ?
Un point de droit tout d’abord parce qu’on ne se refait pas : dès que vous êtes propriétaire d’une parcelle vous avez le droit de faire distiller tous les produits qui y poussent. Soit en faisant appel à un bouilleur ambulant soit en les apportant à une distillerie. Et en s’acquittant de taxes plutôt élevées qui sont minorées pour les 10 premiers litres traditionnellement considérés comme relevant de votre consommation personnelle. Dix litres tout de même…
Et il ne faut pas confondre le bouilleur ambulant avec l’expression « bouilleur de cru » qui n’est qu’un statut fiscal privilégié en voie de disparition qui les
exonère de droits mais qui ne leur permet en rien de distiller eux-mêmes. On parle d’ailleurs de « privilège », joli mot pour désigner finalement ces modestes propriétaires de vergers, ces fermiers ou métayers, agriculteurs retraités ou anciens combattants de plus de 75 ans pour la plupart et qui sont devenus de plus en plus rares. Soulignons aussi que la distillation à domicile est formellement interdite.
50kgs de patates, un sac de sciure de bois, il te sortait 25 litres de trois étoiles à l’alambic, un vrai magicien ce Joe
s’exclamait Maître Folace, alias Francis Blanche dans les Tontons Flingueurs.
C’est vrai que c’est beau et c’est beau aussi un alambic. Ça brille parce que souvent c’est en cuivre pour une meilleure conduction calorifique. Ça semble à la fois fragile et puissant : on parle de vases, de condensateur, de serpentin, d’entrainement vapeur, de colonne, de cœur de chauffe. L’alambic concentre le meilleur de la matière.
Et ce que j’ai découvert c’est que pour nos distillateurs artisanaux, c’est un peu les mêmes luttes et la même foi que chez les vignerons qui font du vin nature : cultiver, fermenter puis évaporer sans intrants ni alcool éthylique de base à 96% comme utilisé par les industriels. Il y a même des distillateurs qui ont signé un Manifeste de la Gnôle naturelle que vous retrouverez le site internet France Inter à la page On va déguster et la liste des signataires vous donnera plein d’adresses partout en France.
Parce qu’on peut en mettre des intrants : du sucre, du caramel, du boisé liquide, des sulfites, des enzymes et même des matières animales comme la protéine de lait ou la gélatine. Et là encore aucune indication sur l’étiquette, la réglementation ne l’impose pas.
Je vous en ai apporté quatre parmi mes préférés et vous pourrez retrouver les références également sur le site :
A tout seigneur tout honneur, la prune de Laurent Cazottes, ou plutôt la reine-claude dorée, la plus ancienne variété cultivée dans le Sud-Ouest, aux couleurs vert-jaune avec des reflets roses. Production bio depuis 2000, récolte à terre - on attend que le fruit tombe de l’arbre -, passerillage quelques jours PUIS, unique en son genre : on ôte la queue et le noyau ce qui enlève le goût herbacé et le goût d’amande. Laurent Cazottes ne veut boire que le fruit qu’on croque habituellement. Sur une production de 9 tonnes, ça nous fait environ 180.000 prunes, un travail à plein temps pendant deux semaines de 15 personnes. Alors forcément elle envoie cette prune, il n’y a que ça et rien d’autre. Une bouteille de 50cl, c’est environ 200 prunes distillées rien que pour vous. Et propre comme aime à le répéter Laurent Cazottes.
Une découverte surprenante ensuite avec l’eau-de-vie de cidre de La Distillerie de Paris, unique distillerie de la capitale puisqu’une réglementation datant de 1914 interdit de distiller à Paris et qu’il a fallu 5 années au virevoltant et attachant Nicolas Juhlès, pour obtenir une dérogation. Cette installation à Paris est pour lui le meilleur moyen de croiser le meilleur de la création et de la réflexion. Un vieillissent minimal, ça donne des eaux-de-vie tendues et dynamiques comme cette eau-de-vie de cidre. Il entame prochainement une coopération avec le vigneron de Meursault Jean-Marc Roulot dont il vient de récupérer l’alambic, la distillerie de Meursault devrait bientôt voir le jour. Ça va sentir le marc à plein nez, suivre donc.
Deux derniers coups de cœur avec la Distillerie de Petit Grain et ses jolies bouteilles colorées et ses gins distillés au cordeau. Et enfin l’OVNI de la distillation nature, avec Baptiste François et son O’ de Baptiste appelée « Embrassez des inconnus ». Alors en ces temps de COVID c’est ce qu’on ne doit pas faire évidemment mais avec cette eau-de-vie on peut : Baptiste François - qui est en plus très sympathique - récupère, tenez-vous bien, les crachoirs de tous les salons de vins naturels en France, les double-distille et en fait une sorte de grappa inouïe, rien ne se perd, tout se recycle, et même : tout se distille.
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