La " chronique du vivant » avec Marc-André Selosse du MNHN et en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle. autour de la couleur des feuilles en automne.
La semaine passée, nous avions évoqué les couleurs jaunes ou rouges de l’automne qui résultent d’une accumulation de tannins colorés dans les feuilles. Nous avions découvert que ces tannins protègent la feuille pendant que ses composants, comme la chlorophylle, sont réexpédiés vers les branches et le tronc avant la chute finale.
D'autres explications des couleurs d’automne sont basées sur l’écologie de la plante. Il faut expliquer pourquoi elles accumulent des tanins coûteux à produire dans les feuilles alors que celles-ci vont tomber. Un spécialiste de l’évolution, Hamilton, proposa peu avant sa mort une hypothèse : la couleur protège l’arbre des insectes parasites. Non pas les feuilles qui vont tomber, mais les bourgeons et les tiges situés autour. Avant l’hiver, des insectes viennent pondre sur les arbres des œufs dont les larves se développeront à l’abri de l’écorce ou des bourgeons. Or, il faut savoir que, en grande concentration, les tannins sont toxiques. Ils se fixent sur les protéines et perturbent leur fonctionnement : ils abîment notamment les enzymes digestives et bloquent la digestion. Dans l’évolution, les insectes qui choisissent les arbres moins colorés en automne ont donc eu plus de descendants : eh oui, ces arbres produisent moins de tanins et se défendent donc moins bien. Réciproquement, les arbres aux couleurs vives, qui signalent ainsi leur capacité à produire des tannins, ont été plus évités par les parasites. Dans cette coévolution, la plante « montre ses biceps » aux insectes par ses couleurs d’automne.
On a des preuves de ça ? Oui. Chez des bouleaux et des pruniers sauvages, les individus les moins colorés en automne subissent plus d’attaques d’insectes. Chez des pommiers sauvages, les larves de pucerons se développent moins bien sur les arbres les plus rouges en automne. Cela confirme que la couleur reflète la capacité à intoxiquer les parasites par des tanins. Mais ce n’est pas tout : il faut tenir compte du brunissement des feuilles mortes !
Pourquoi les feuilles brunissent ? C’est le même mécanisme qui fait brunir les fruits et les légumes coupés ou abîmés. Les tannins des cellules endommagées sortent des zones où ils sont stockés. Libérés, ils se lient aux protéines végétales, car c’est leur propriété chimique, et ils s’oxydent à l’air. Cela forme des complexes tanins-protéines brunâtres, appelés pigments bruns. Dans la feuille vieillissante, les cellules se déstructurent ; leurs tannins se mélangent à leurs protéines et s’oxydent. Les pigments bruns ainsi formés colorent les feuilles mortes.
Mais quel intérêt pour la plante ? Ces pigments bruns emprisonnent tous les restes cellulaires : il y a là de l’azote et du phosphate. Les pigments bruns sont trop gros pour être entraînés par l’eau : au sol, les feuilles restent brunes. Écologiquement, c’est vital car sans cela, l’azote et le phosphate seraient emportés par les pluies hivernales ! Avec le redoux printanier, les microbes du sol attaqueront ces pigments bruns et libéreront lentement l’azote et le phosphate. Et à ce moment-là, les racines pourront les re-capter ! Les feuilles brunes sont un engrais à libération retardée ! Grâce aux pigments bruns, ce qui n’a pas été récupéré avant la chute des feuilles est recyclé sous l’arbre. Les tannins colorés d’automne préparent les pigments bruns qui enrichissent le sol. Voilà pourquoi les plantes annuelles ne changent pas de couleur : améliorer le sol l’année suivante leur est inutile !
En automne, les tannins déchaînent leurs couleurs et leurs bienfaits : ils protègent les feuilles, repoussent les insectes parasites et construisent un sol fertile. Peu connus du public, les tanins sont… un véritable couteau suisse des plantes !
avec de Marc-André SELOSSE, en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle et c’est à réécouter sur Franceinter.fr. Il est l'auteur de « Les goûts et les couleurs du monde. Une histoire naturelle des tanins, de l’écologie à la santé ». Actes Sud, 2019.