Thierry Lhermitte a visité le laboratoire de Gilles Huberfeld au Collège de France, à Paris. Il raconte cette rencontre avec ce grand spécialiste de l'épilepsie. Les décharges d'influx nerveux ou crises d'épilepsie permettent d'en apprendre davantage sur les mécanisme du cancer du cerveau.
Gilles Huberfeld est médecin neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, spécialiste de l'épilepsie sur laquelle il travaille depuis vingt ans.
Qu'est-ce que l'épilepsie ?
Il faut parler d'épilepsie au pluriel, car sous ce terme se cachent des maladies assez diverses, d'origine et de gravité variées. Mais pour simplifier, leur point commun, c'est un orage électrique qui débute dans une zone malade du cerveau, puis se propage, mais qui peut aussi embraser tout le cortex d'un seul coup. Selon leur localisation et l'étendue de la propagation, les symptômes peuvent aller d'une simple absence pendant quelques secondes à une crise généralisée, avec perte de connaissance et tremblements. Et parfois même les patients ressentent des symptômes complexes, intimes, pas nécessairement observables de l'extérieur.
Le traitement est médicamenteux mais reste insuffisant chez un tiers des patients. On leur propose alors, si c'est possible, une opération chirurgicale pour enlever la zone en cause.
Quel est le projet de recherche soutenu par la Fondation pour la recherche médicale ?
La FRM finance la thèse d'un jeune neurologue, Belén Dìaz-Fernàndez, qui a rejoint l'équipe de Gilles Huberfeld. Et son objectif, c'est d'optimiser la chirurgie du gliome, un cancer du cerveau, grâce à un concept et un dispositif innovant.
Pourquoi un spécialiste de l'épilepsie s'intéresse au cancer du cerveau ? Quel rapport avec l'épilepsie ?
C'est là où ça devient intéressant. Tout est parti de la rencontre du docteur Hubert Feld avec deux neurochirurgiens spécialistes des gliomes : Laurent Capelle à la Pitié-Salpêtrière et Johan Pallud à Sainte-Anne.
Entre eux, quelles discussions ? L'épilepsie, justement, car très souvent, les patients atteints de gliomes font des crises d'épilepsie.
Qu'est ce qu'un gliome ?
Le gliome, c'est un cancer du cerveau le plus fréquent. Il est certes plus rare que d'autres cancers, mais son pronostic est très sombre. Même les gliomes dits bénins finissent par évoluer vers une forme maligne et fatale. C'est 5000 nouveaux cas par an en France et 240 000 morts dans le monde par an. En étudiant ces gliomes, l'équipe de Gilles Huberfeld a fait une découverte étonnante : ce sont les patients avec les tumeurs les moins agressives qui présentent le plus souvent une épilepsie. Et encore plus étonnant, la présence d'épilepsie associée aux gliomes est corrélée à une survie plus longue. C'est ça qui a suscité l'intérêt du chercheur au départ pour le sujet.
Quels sont les symptômes et quelle est la prise en charge des gliomes ?
Les symptômes sont variables selon leur localisation dans le cerveau : des maux de tête, des troubles moteurs ou du langage pour les glioblastomes, les tumeurs les plus sévères, mais pour les gliomes les moins agressifs, c'est très souvent l'épilepsie qui motive la consultation qui va révéler la tumeur.
Le diagnostic se fait par IRM et, si c'est possible, le premier traitement consiste à opérer le patient pour retirer le maximum de la tumeur. C'est très impressionnant parce que c'est une chirurgie menée chez le patient éveillé, bien sûr anesthésié pour l'ouverture du crâne, le cerveau, lui, n'est pas sensible.
Pourquoi le patient doit-il être éveillé ?
Parce que c'est très délicat d'intervenir sur le cerveau, car on risque d'endommager des fonctions cérébrales importantes. Pour éviter ça, on teste, en temps réel, les fonctions de la zone à opérer. Boîte crânienne ouverte, le patient exécute des tâches différentes selon l'endroit de la tumeur, on peut lui demander de parler, de bouger un membre, etc. Et grâce à des électrodes placées à la surface du cerveau, on envoie de faibles décharges électriques pendant l'exercice. Si la tâche est perturbée, on en déduit la localisation de la fonction comme ça, on identifie les zones où on peut intervenir sans trop de dégâts et celles qu'il vaut mieux ne pas léser et ainsi opérer avec une meilleure sécurité.
Mais il y a un gros problème avec les gliomes. Il y a toujours des cellules cancéreuses qui essaiment dans les tissus voisins et encore plus ennuyeux, on ne les voit pas à l'IRM, car elles sont trop petites. Pour le chirurgien, le défi, c'est donc d'enlever le maximum de la tumeur et des tissus autour pour essayer d'éradiquer ces cellules infiltrées. Car si on les laisse, elles sont à l'origine des récidives. Et pour les autres traitements, il y a la radiothérapie, la chimiothérapie, seules ou associées à la chirurgie
Quel est l'objectif de Gilles Huberfeld ?
Il faudrait optimiser cette opération du gliome en aidant le chirurgien à repérer toutes les cellules tumorales et ce qui est intéressant dans ce projet, c'est que le docteur Gilles Huberfeld a une approche de neurologue et non de cancérologue. Du coup, sa réflexion et ses outils sont différents.
Son équipe est spécialisée dans l'enregistrement de l'activité électrique des cellules nerveuses, elle est même une des seules en France à faire ses enregistrements sur des tissus vivants de gliomes et de cortex environnants qui proviennent des chirurgies.
Grâce à cette technique qui lui sert pour ses recherches fondamentales, l'équipe a découvert quelque chose d'inédit. Vous vous souvenez que les gliomes sont souvent associés à l'épilepsie ? L'activité électrique très intense, caractéristique de l'épilepsie, ne vient pas directement de la tumeur. Les chercheurs ont montré qu'elle est localisée autour, justement là où les cellules tumorales ont essaimé et infiltré les tissus cérébraux.
Que faire avec cette découverte ?
On en arrive à l'idée géniale qu'a eue Gilles Huberfeld : utiliser cette technique d'enregistrement en direct au cours de l'opération pour localiser les cellules cancéreuses exfiltrées de la tumeur grâce à leur signature électrique.
Si le chirurgien peut les visualiser, alors il aura plus de chances de les enlever toutes et donc d'améliorer le pronostic en évitant les récidives.
Où en est l'équipe aujourd'hui ?
Elle a fait un bond technologique important en utilisant des électrodes minuscules développées par une start-up française qui s'appelle Panaxium et qui permettent un enregistrement de bien meilleure qualité.
Prochainement, l'équipe utilisera cette technique pendant les interventions, puis les tissus prélevés seront étudiés en laboratoire pour confirmer le lien entre les zones épileptiques visibles à enregistrement et l'infiltration par les cellules tumorales.
Un chercheur, Michel Le Van Quyen, chercheur en neurosciences à l'INSERM, un traiteur de Signal, va élaborer des algorithmes pour détecter la signature électrique de l'infiltration tumorale. C'est ce que Gilles Huberfeld appelle le "le microscope mathématique". L'objectif final, c'est de visualiser pendant l'opération, les zones épileptiques qui, probablement, désignent l'emplacement des cellules cancéreuses à enlever.
En conclusion, si ça fonctionne, ça sera une vraie révolution dans la chirurgie des gliomes, avec l'espoir d'améliorer le pronostic de ces tumeurs cérébrales absolument effroyables.
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