

un vin produit loin du littoral mais qui sale quand même le palais.
Justine Knapp a cherché un accord avec la crevette, mais elle s'est éloignée du bord de mer…
Notre envie spontanée avec des fruits de mer, c’est d’aller vers une cuvée maritime. Un muscadet bien ciselé par exemple. Ce serait une excellente idée. Mais pour cette fois, on va s’enfoncer dans les terres vers un vin puissant. Puissant en agrumes, en fruits exotiques. Le genre de vin charismatique qui a tendance à prendre beaucoup de place. Un peu risqué pour aller avec la crevette. Mais allez-y, goûtez-le si ce n’est pas déjà fait. Début de gorgée, plutôt tendre et confortable, et très vite une claque d’acidité. C’est tranchant, très salivant, salin. Assez pour rejoindre le charnu et l’iode de la crevette.
Cette cuvée super tonique, ce qui est étonnant, c’est qu’elle vient de Jurançon, le royaume des vins moelleux, des vins sucrés. On est dans le Sud-Ouest, bien au sud, les Pyrénées en toile de fond. Beaucoup d’ensoleillement, des vents chauds à l’automne. Autrement dit la recette idéale pour les moelleux, pour que les raisins se concentrent bien en sucre. Mais tout l’inverse de cette cuvée.
On a affaire à un vin sec, sans sucre et à moins de 13 degrés.
Ce qui fait la différence, c’est l’emplacement un peu particulier des vignes. Le domaine s’appelle le Clos Larrouyat. Il est tenu par deux trentenaires, Lucie et Maxime Salharang. Maxime, qui était seul au départ en 2011, il a replanté les terres de son grand-père. Il a choisi les cépages des moelleux. Les stars locales, le petit et le gros manseng.
Pour lui c’est évident, schéma classique, il va faire du moelleux comme tout le monde : Jurançon, c’est du moelleux. Et finalement sa première cuvée, elle est recalée pour l'appellation. Même pas besoin de goûter, le taux d’alcool est trop bas. Les raisins ne contenaient pas assez de sucres à la récolte.
Pourquoi ? Parce que chez Lucie et Maxime, les raisins ne mûrissent pas si facilement. Pas d’exposition au sud comme la majorité du vignoble. Pas de soleil intense de fin de journée. Et en plus un sol unique à Jurançon, un sol de marnes sur trias. C’est lui qui laisse une note saline en bouche une fois qu’on a bu notre gorgée. Mais surtout, ce sol, il fait encore baisser les degrés alcooliques.
ce terroir est fait pour les secs. Lucie et Maxime s’y sont mis. Et c’est bien tombé parce que le vignoble de Jurançon prend ce pli depuis vingt ans. Le sucre a moins la côte chez les buveurs et les buveuses…
Nos palais vont plus facilement vers moins de sucre, de la fraîcheur, de la tension.
Et l’identité locale en pâtit un peu. Maxime me disait que le moelleux à tendance à se faire écarter de la table. C’est plus difficile pour la clientèle de l’imaginer autrement qu’à Noël.
Alors qu’on a des vins superbes qu’on peut accommoder facilement sur le fromage, avec des persillés, ou même à l’apéritif.
Surtout quand il y a un tel équilibre sucre/acidité comme c’est le cas à Jurançon. Les vignerons et vigneronnes se sont quand même adaptés. Ils sont une soixantaine d’indépendants, plus de la moitié de leur production, c’est maintenant du jurançon sec. Pour répondre au marché, mais aussi pour découvrir une autre expression des terroirs. Sauf que garder des vins frais et pas trop chargés en alcool avec ce climat, c’est un casse-tête. L'appellation projette de revoir sa délimitation. L’idée serait de s’étendre à des terrains comme ceux de Lucie et Maxime, exposés moins fortement au soleil, au nord ou à l’est.
18 euros, la cuvée Météore. Ils ont aussi un autre jurançon sec délicieux et un jurançon moelleux. Ça y est, ils parviennent maintenant à l’atteindre, mais tout juste. Gustativement, la cuvée reste quand même plus proche d’un demi-sec. Toujours très affûtée grâce au terroir tardif. Au Clos Larrouyat les vendanges ont pris fin mercredi. C’est très tard dans la saison. C’est pas peu dire que le raisin met du temps à mûrir ici. Juste après, des moutons prendront le relais dans les parcelles. Histoire de gérer la pousse de l’herbe et d'enrichir naturellement les sols cet hiver.
Un fonctionnement similaire à celui des crevettes impériales qui entretiennent les bassins ostréicoles en Charente…
L’un prépare les lieux pour le suivant. Les crevettes avant les huîtres, les moutons avant les raisins. Je précise bien “avant”, sinon les moutons grignotent. Le sucre de Jurançon, ça leur va bien.
Cuvée Météore
Clos Larrouyat
18 euros
L'équipe
- Justine KnappProduction