

A l’occasion de la cinquième saison de “Black Mirror”, série britannique qui imagine les effets que la technologie pourrait avoir dans un futur très proche, Netflix a décidé de proposer aux spectateurs de choisir la fin des épisodes, entre plusieurs possibles.
Il s’agit d’instaurer une forme d’interactivité qui avait déjà été expérimentée, manifestement avec succès, dans des programmes pour enfant. On peut faire plusieurs lectures de cette initiative, qui ne sont pas exclusives les unes des autres.
Ça permet de régler une question éditoriale
Au départ la série Black Mirror était produite par la chaîne britannique Channel 4 et présentait un avenir technologique au mieux mélancolique, au pire très flippant. Quand Netflix a repris la production, les morales des épisodes sont devenues plus positives, ce qui a fait débat parmi les spectateurs, certains considérant que la série perdait de son intérêt.
Proposer des fins différentes, c’est un moyen de ne pas se positionner sur la couleur qu’on veut donner à notre avenir technologique. Peut-être peut-on voir là une forme de lâcheté intellectuelle de la part de Netflix consistant à laisser au public la responsabilité de ce qu’il pense.
Une intégration de la culture du jeu vidéo dans la fiction
C’est vrai que dans le jeu vidéo, c’est le joueur qui manipule son personnage et fabrique son destin. Pourquoi ne pas faire de même dans la fiction ? Il y a là un terrain d’expérimentation tout à fait passionnant.
Sauf que le jeu vidéo - Mathieu Triclot le rappelait brillamment dans Philosophie du jeu vidéo - ce n’est pas simplement décider ce qu’on fait faire à un personnage, c’est surtout, une interaction physique avec la machine qui passe par les doigts, les mains, le corps, l'œil.
En comparaison, l’expérience proposée par Netflix risque d’être très pauvre.
Approfondir la distinction entre ancien média et nouveau média
En effet, ce qui distingue la télévision d’une plateforme de distribution de vidéos comme Netflix, c’est la question du choix.
Alors que la politique de la télévision reste bon an mal an une politique de l’offre, le client de Netflix peut choisir parmi une multitude de contenus, il choisit quand il regarde, comment il regarde etc. En le laissant décider de la fin qu’il accorde à l’histoire, on approfondit encore cette distinction.
La télévision se le permet dans les programmes de téléréalité où les téléspectateurs votent, mais cela reste collectif (on peut se voir imposer le choix des autres). Là, c’est individuel, rien ne nous est imposé par personne.
La logique de la personnalisation
Netflix personnalise le visionnage des séries et des films. Mais avec des fins alternatives, on franchit une étape supplémentaire, puisque l’objet lui-même s’adapte aux goûts du client de Netflix (et on pourrait tout à fait imaginer que bientôt, la plateforme choisisse la fin pour moi, parce qu’après tout, ayant des données très précises sur mon visionnage, elle connaît mes goûts).
Si tant est que ce type d’initiative se développe, cela pose question sur la capacité à créer du récit commun.
Si on n’a pas vu la même fin de film, la même fin de série, comment on va en parler ensemble ?
Comment va-t-on l’interpréter ?
Comment ça va nous servir pour nous construire ?
Bref, il me semble que ça relève d’une incompréhension assez fondamentale de ce à quoi sert la fiction.
Personnellement, je n’ai pas envie qu’on me demande de choisir la fin d’une histoire. En matière de fiction, je jouis de me soumettre à l’autorité. Et donc, je me permets ici de prédire solennellement l’échec de cette initiative.
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