Internet a la passion des animaux. Des chats, mais pas seulement : des chiens qui font du yoga, des ours dans leurs montagnes… Et voici qu’il y a trois jours, un groupement d’experts publie un rapport terrifiant sur la sixième extinction. Faut-il voir un lien entre notre inaction et leur extinction ?
Internet a la passion des animaux. Sans même parler des emblématiques vidéos de chat qui y pullulent depuis des années, ou même de comptes spécialisés dans la diffusion d’images animalières (comme “ Nature is amazing”, que je vous recommande), j’ai vu passer dans la journée d’hier les images de jeunes ours s'esbaudissant dans la neige des Pyrénées espagnols, la photo d’un oiseau prise dans un parc américain, celle d’un joli gecko, et même le son d’animaux marins dont le plongeur qui l’a enregistré se demandait ce qu’il signifiait.
Étonnamment, Internet est sans doute devenu notre plus grand bestiaire. Et c’est même un bestiaire d’un genre nouveau parce qu’on y voit ce qu’on ne voyait jamais auparavant : des comportements d’animaux domestiques si singuliers qu’il faut les vidéos de leurs maîtres pour y croire (par exemple les chiens qui imitent les positions de yoga), des images d’animaux sauvages captées miraculeusement par des promeneurs et d’autres que permettent de saisir les technologies d’aujourd’hui (les drones, les caméras placées sur un oiseau en vol, les caméras à visée nocturne qui filment ce que font les animaux la nuit etc.) Ces images sont très partagées, très likées. Je n’aurais pas dit il y a dix ans que la nature serait si présente dans les réseaux.
Et voici qu’il y a trois jours, un groupement d’experts publie un rapport terrifiant : près d’un million d’espèces vivantes sont menacées d’une extinction prochaine (25% des mammifères, 19% des reptiles, 13% des oiseaux…), conséquence directe des activités humaines. Les internets – en tout cas ceux que je fréquente – ne parlent plus que de ça. Et moi, je me pose une question : ça fait un petit bout de temps déjà que cette “sixième extinction de masse” est à l’oeuvre sans que cela ne déclenche rien, y a-t-il un lien entre notre inaction spectaculaire et notre passion numérique pour les animaux et la nature ?
Evidemment, il y a des causes très profondes à cette extinction qui tiennent à notre modèle économique, nos modes de vie, etc. Mais depuis quelques années, les chercheurs y ajoutent ce qu’ils appellent l’extinction de l’expérience de nature ou “amnésie environnementale générationnelle”.
En gros, notre expérience de la nature diminuerait de génération en génération, parce qu’on a moins de contact direct avec la nature, mais aussi parce qu’elle fait moins partie de nos imaginaires (une chercheuse française a par exemple étudié les films de Disney et constaté que la présence de scènes de nature diminuait d’année en année entre 1937 et 2010). Cette “amnésie environnementale générationnelle” est dangereuse parce qu’on on en vient à considérer comme normal un état de la nature qui est, en fait, déjà très dégradé. Mais elle est dangereuse aussi parce que, quand il s’agit de passer à l’action, c’est l’expérience de la nature (le contact, les souvenirs…) qui mobilise, plus que le fait de savoir que la biodiversité est menacée.
Alors je me demande : est-ce que la passion d’Internet pour les animaux est un signe supplémentaire que nous n’avons plus qu’un rapport lointain avec la nature, un rapport par l’image, par l’écran, et c’est une raison supplémentaire de s’inquiéter ? Ou alors, cette passion – somme toute assez récente – est-il le signe d’un émerveillement renouvelé, notamment chez les plus jeunes qui grandissent dans les réseaux ? Un émerveillement qui passe par les images, mais par plein d’autres choses comme aussi ces chaînes YouTube hyper pointues qui ajoutent une dimension participative car on peut y apprendre à reconnaître les plantes ou cuisiner les herbes.
Que la technologie participe – même un tout petit peu – à aider la biodiversité serait une belle ironie de l’Histoire.
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