Une vidéo a interpellé Xavier de La Porte : postée par un Sud-Africain blanc en Grèce qui se félicite de ne pas voir de "kaffir" (de noir) sur la plage, cette vidéo a été suivie d'une déferlante féroce sur les réseaux sociaux. Et, parce que le type est raciste, ça ne choque plus personne…
Ma fenêtre s’ouvre ce matin sur une vidéo. Un homme en chapeau de paille se filme sur plage. Il dit :
Un ciel bleu, une journée magnifique, une mer incroyable, et pas un kaffir en vue. C’est le paradis sur terre.
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L’homme qui se filme est un sud-africain en vacances en Grèce, il se félicite qu’il n’y ait pas de Noirs sur la plage en utilisant le mot de “kaffir”,- plus péjoratif encore que “nigger” et dont l’usage est puni par la loi sud-africaine.
Cette vidéo - d’abord postée sur la messagerie What’s App à destination de copains - est devenue publique, a énormément circulé dans les réseaux sociaux, provoquant une réaction en chaîne. Cet homme a d’abord été identifié. Il s’appelle Adam Catzavelos, 39 ans, salarié d’une entreprise familiale de fabrication de sauces. Enfin… il était salarié car, même si sa famille s’est vite désolidarisée de ses propos, et l’a licencié, l’entreprise a dû fermer, les clients ayant annoncé qu’ils mettaient un terme aux commandes. Les parents ont quitté le pays. Même l’employeur de sa femme, Nike, a dû fermer temporairement des magasins, suite à un appel au boycott.
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Par ailleurs, les internautes ont rendu publique l’adresse de cet homme, mis en ligne des photos de sa maison et il a été interdit de pénétrer dans l’école de ses enfants. Le type a tenté des excuses, mais qui sont assez minimalistes. Une plainte a été déposée contre lui, il risque la prison.
Autrement dit, sous une pression populaire activée par les réseaux, une insulte raciste “a ruiné la vie” de cet homme pour reprendre le titre du « Monde ».
Pourquoi cette histoire m’intéresse ? Pas pour pleurer sur ce type, évidemment.
Mais parce que, du fait qu’il s’agit d’un raciste, on oublie de s’interroger sur la mécanique qui s’est déclenchée contre lui. Or cette mécanique pose problème.
D’abord, cette vidéo est au départ destinée à rester privée (à la différence d’un tweet qui est une forme d’intervention dans le débat public).
Mais il y a tout ce qui se passe après. Des internautes fouillent dans réseaux, trouvent des informations et les rendent publiques, peu importe si elles atteignent des proches qui n’ont rien à voir avec tout ça. On peut se réjouir que les réseaux permettent cela, d’aller traquer le racisme précisément là où il perdure, là où il est ancré, c’est-à-dire dans ce qui a l’air de rien, dans le quotidien, dans les blagues entre copains, on peut considérer que tous les moyens sont bons. En même temps, on la connaît cette manière de faire - se ruer virtuellement sur une personne, divulguer des informations personnelles etc. - et on la déteste quand ce sont des débiles du forum 18-25 de Jeuxvidéos.com qui la mettent en branle pour s’attaquer à quelqu’un qui leur déplaît. Et là parce que le type est raciste, ça ne choque plus personne…
Bref, on ne questionne plus un procédé détestable quand il dénonce un acte immonde.
Bien et mal se mêlent de manière presque indistincte.
Le philosophe Bernard Stiegler utilise depuis longtemps un beau concept. Pour désigner les technologies et ce qu’elles nous font, il dit qu’elles sont un “pharmakon”, c’est-à-dire qu’elles sont à la fois un remède et un poison. Ça veut dire qu’il est illusoire de séparer ce qui est bon ou mauvais en elles, elles sont à la fois bonnes et mauvaises. Tout ça ne nous aide pas à trancher les dilemmes moraux que nous pose notre vie numérique, mais explique au moins le malaise.
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