La Fontaine : L'école buissonnière

Un chêne et des roseaux dans la brume
Un chêne et des roseaux dans la brume ©Getty - Westend61
Un chêne et des roseaux dans la brume ©Getty - Westend61
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Erik Orsenna se penche sur ce qu'a pu être l'enfance du fabuliste Jean de La Fontaine.

Harmonieuse et calme fut l'enfance de La Fontaine. Ses parents s'aimaient. Pour leur mariage, il s’était fait gravé une médaille représentant d'un côté deux cœurs, accompagnés de cette légende : Douce union. Et de l'autre, une boule descendant une pente avec cette devise : je suis mon penchant. Il semble que ce programme ait été respecté à la lettre.

En revanche, nous n'avons aucune trace de ce que pu être l'enfance de La Fontaine.

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Marc Féraud, historien

On ne sait rien de lui car il aimait vivre tranquille

On sait en revanche qu'il étudia des mêmes maîtres que les frères de Maucroix, venu de la ville de Noyon en Picardie et proche de Château-Thierry. Le cadet, François, deviendra l'ami intime de Jean de La Fontaine.

La famille de La Fontaine possède des fermes et des forêts dans lesquels ils se rendent souvent pour des déjeuners, des fêtes ou des congés. Charles de La Fontaine, le chef de famille, est lui-même Maître des eaux et forêts. La vie du petit Jean est buissonnière. Et l'école buissonnière est une école clandestine, dit le dictionnaire, qui au moyen-âge se tenait en plein champs. Clandestin est un mot qui s'applique à La Fontaine, qui sera passager clandestin de sa vie. Comme si il fallait s'oublier pour parler à tous et à chacun. Comme si il ne fallait surtout pas s’inquiéter de savoir qui on est. Le génie est toujours un passager clandestin.

La fable du jour

Le chêne et le roseau

Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrai de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque là dans ses flancs.
L'arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.