1938. Il faut sauver les archives d'Husserl

Le philosophe Edmund Husserl en 1932
Le philosophe Edmund Husserl en 1932 ©Getty - ullstein bild Dtl.
Le philosophe Edmund Husserl en 1932 ©Getty - ullstein bild Dtl.
Le philosophe Edmund Husserl en 1932 ©Getty - ullstein bild Dtl.
Publicité

La question aujourd’hui sera de savoir comment les archives de Husserl sont passées à Louvain, y devenant une source essentielle de la pensée contemporaine.

Avec
  • Bruce Bégout Philosophe, maître de conférence à l’Université Michel de Montaigne à Bordeaux

Nous n’aurons pas la prétention de traiter de la phénoménologie selon Husserl. L’historien peut pourtant tirer beaucoup de l’exigence absolue qu’elle fixe : l’attention à la manifestation du monde. Il faudrait dire aussi comment le compagnonnage philosophique initié par Husserl s’est étendu rapidement en France, dès le début des années 30.  Levinas, Sartre, Aron en furent.  En avril 1939, un an après la mort de Husserl,  Merleau-Ponty tint à aller en Belgique consulter ses manuscrits inédits.

  La question aujourd’hui sera justement de savoir comment les archives de Husserl sont passées à Louvain, y devenant une source essentielle de la pensée contemporaine.

Publicité

  Dans ses dernières années, Husserl, d’origine juive, avait été ostracisé. Après sa disparition, ses papiers que conservait sa veuve, contrainte à l’isolement, étaient à la merci des nazis. Or ces papiers, quelque 40 000 feuillets, représentaient une vie de travail. Husserl, homme de peu de publications, y avait jeté les réflexions qu’il notait, en sténo tant elles se bousculaient.

  L’été 1938, un franciscain belge, Von Breda,  vient  proposer à Madame Husserl d’organiser un transfert de ces archives vers l’Université de Louvain.  Mais il faut transférer aussi les deux assistants de Husserl seuls capables de déchiffrer les textes, Madame Husserl  elle-même, la bibliothèque et, à tout prendre, les cendres du maître. C’est difficile, dangereux. Hitler a commencé ses attaques contre la Tchécoslovaquie, l’Europe se mobilise, le temps presse comme un garrot.

   Il sera ici question de Von Breda plus que de Husserl. Le franciscain n’était peut-être pas un philosophe de premier plan. On peut diminuer son mérite en disant qu’il n’avait pas assez de puissance d’imagination pour se figurer les dangers qu’il courait. On peut aussi dire que 99,9% et davantage des gens ne s’intéressaient aucunement aux pages indéchiffrables qu’il s’acharnait à sauver. 

   Pourtant quelque chose de la pensée européenne se joua ici. Von Breda savait d’instinct qu’en la circonstance, il gardait la liberté de soulever le joug. Il la prit. Le joug n’existe  que  parce que nous tendons le cou.