Karl Kraus réquisitoire contre le journalisme

France Inter
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C’est à Vienne qu’il a vécu pour l’essentiel, il en était une figure charismatique. Il a publié des dizaines de milliers de pages fébriles...

Avec
  • Jacques Le Rider Historien spécialiste de l'Autriche, directeur d'étude à l'Ecole des Hautes Etudes, ancien directeur de l’institut français de Vienne

Rediffusion du 19 octobre 2015

Série "les grands modernes"

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C’est à Vienne qu’il a vécu pour l’essentiel, il en était une figure charismatique : « Die Fackel » -« La Torche » ou « Le Flambeau », c’est selon, sa publication à couverture rouge vif qu’il rédigea quasi seul trente -cinq ans durant était attendue et redoutée, comme ses lectures publiques : il faisait du « live ».

Il a publié ainsi des dizaines de milliers de pages fébriles, des dernières années de l’Empire austro-hongrois à sa mort en 1936, à la veille de l’Anschluss. Il ne croyait ni au progrès ni, à dire le vrai, à la démocratie. Il traquait les soi-disant fabricants d’information qui étaient en réalité les serviteurs d’intérêts qu’ignoraient ceux qui les lisaient ou les écoutaient. « Je m’adresse sans illusions, disait-il, aux imbéciles de mon temps mais aussi aux imbéciles à venir. »

Et en effet, ses avertissements résonnent furieusement à notre époque. Chacun peut publier sur le net. Quand il veut. Des textes de la longueur qu’il veut. Comme « Die Fackel ». Ce que Kraus redoute le plus, le formatage, demeure néanmoins. Exemple : Youtube se présente comme une simple plate-forme, elle requiert cependant un certain style, qui n’est pas sans ressembler à celui des chroniques viennoises que détestait Kraus : faussement enlevé, insouciant. Les réseaux sociaux, surtout sont contraignants, la langue y est souvent martyrisée, la vérité aussi.

Kraus était persuadé que ceux qui prétendent diffuser l’information effectuent en réalité un travail de termites qui aboutit à la décomposition de la vérité. En résulte une première simplification brutale. C’est alors que nous sommes menacés par la panique : pourquoi ne pas aller plus loin encore dans la simplicité et bazarder toutes les positions intellectuelles acquises ? Ce sont alors « Les derniers jours de l’humanité » , pour reprendre son titre le plus célèbre.

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