La privatisation de la chambre

France Inter
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Avec
  • Michelle Perrot Historienne, professeure émérite d’histoire contemporaine à l'Université Paris Cité
Intérieur avec la Mère et l'Enfant par August Müller - 1871
Intérieur avec la Mère et l'Enfant par August Müller - 1871
© domaine public

Xavier de Maistre, peut faire figure de perdant de l’histoire quand il publie en 1794 son « Voyage autour de ma chambre » : encore un peu de temps et la Savoie, l’état qu’il sert, va être balayée. Oui, mais le monde qui change, dès lors qu’il est vu de la fenêtre de sa chambre, est comme apprivoisé. Et la porte, une fois refermée, peut déjouer les curiosités des pouvoirs. La Renaissance avait multiplié les murs et les cloisons, le XVIIIème siècle fait du secret une revendication légitime. Simone de Beauvoir dira plus tard : « Il me suffit de pouvoir fermer une porte et je me sens comblée. »

C’est la chambre conjugale qui, dans les milieux privilégiés, a été privatisée la première. Chez Balzac, c’est chose faite. Chez Stendhal, la chambre de madame doit être encore distincte de celle de Monsieur : autrement, Julien Sorel ne pourrait y pénétrer nuitamment, toujours par la fenêtre, d’ailleurs… Souvent, la chambre de Madame communique aussi avec celle des enfants, plus tard venue et encore loin d’être universellement établie : la majeure partie des enfants du monde n’y ont toujours pas accès aujourd’hui.

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La privatisation des chambres s’impose cependant assez généralement. De toutes les pièces, c’est peut-être celle dont la structure apparente change le moins ces derniers siècles. Moins, en tout cas, que la cuisine, la salle de bains ou les pièces de jour où on a fait pénétrer la lumière à flots. Pourtant le lit tient moins de rôles. Au temps de Xavier de Maistre, il était « berceau, trône de l’amour et sépulcre ». Aujourd’hui, il est devenu rare qu’on y naisse ou qu’on y meure encore.

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