- Kevin Limonier Maître de conférences à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris 8), directeur adjoint du centre de recherches GEODE et spécialiste du cyberespace russophone
Sébastopol, l’équivalent pour la Russie du Mont du Temple dans le judaïsme ou l’Islam !
On devrait prêter davantage d’attention à cette représentation de la Crimée qu’a osée Vladimir Poutine face à la Douma en décembre dernier. Habituellement, il parle de la péninsule comme d’un fondement de la sécurité de la Russie ou bien, parfois, comme d’un microcosme de la société pluriculturelle de son pays : dans le premier cas, il fait preuve du réalisme qui incombe à un chef responsable ; dans le second, du modernisme qui sied à un contemporain.
Mais la Crimée …en Jérusalem ! Jérusalem qui se mérite et pour laquelle il faut mourir !
En l’occurrence, Poutine a gravi plusieurs échelons, le voici maintenant qui se présente en visionnaire capable, par l’étendue de son regard, de relier le présent aux sacralités passées. On se souvient de Milosevic se rendant en grand arroi sur le champ des morts du Kosovo et de ce qui s’en est ensuivi.
En réalité, la première Russie, la Rous’ de Kiev (dont Poutine réclamera sans doute un jour le monastère-emblème, la laure de Petchersk), et pareillement la Russie de Vladimir et de Moscou qui lui succéda vécurent longtemps enclavées, sans accès ni sur les mers froides du Nord ni sur les rivages plus ensoleillés de la mer Noire qui auraient pu donner l’accès à la mer chaude, la Méditerranée. C’est seulement en 1696 que Pierre le Grand se ménage un premier passage jusqu’à Azov; Catherine II caresse ensuite un grand dessein impérial qui sera toujours contrebattu par la Grande Bretagne ou la Turquie.
Aujourd’hui, c’est avec la Turquie que la Russie entend continuer de partager son influence. Dans la théorie du choc des civilisations, codifiée à la fin du siècle dernier par Samuel Huntington et que tant de dirigeants du XXIème s’obstinent à vouloir rendre réelle, nulle part n’était prévue une Ukraine bi- culturelle et médiatrice avec l’Europe. Qu’elle puisse avoir une influence et même seulement exister gêne ceux qui, à Moscou mais aussi à Ankara, ont construit un récit historique qui les arrange et qui fait de la mer Noire leur chasse gardée.
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