Homo sapiens technologicus

"Homo sapiens numericus", le nouvel "Homo"
"Homo sapiens numericus", le nouvel "Homo" ©Getty - 	Klaus Vedfelt
"Homo sapiens numericus", le nouvel "Homo" ©Getty - Klaus Vedfelt
"Homo sapiens numericus", le nouvel "Homo" ©Getty - Klaus Vedfelt
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Marie Robert s'interroge sur ce phénomène qu'est l'Homo sapiens numericus. Plus exactement : comment se débrouille-t-il quand il fait une crise de désintox digitale et part se mettre au vert ?

Vous étiez de ceux qui le posent sur la table, à droite de la fourchette. Votre œil flirtant discrètement avec l’écran, toujours à l’affût d’un potentiel mouvement, laissant ainsi votre interlocuteur se débattre avec sa conversation. Vous étiez sans cesse en quête d’une nouvelle application, d’une innovation un peu excitante, pensée par une start-up née pour vous simplifier la vie. Vous montiez dans des VTC, fasciné par le trajet du chauffeur s’affichant sur un plan numérisé. Vous mangiez des repas livrés par des cyclistes, convaincu que leurs maillots deviendraient plus mythiques que ceux du Tour de France. Vous vous étiez également séparés de toutes vos archives, préférant les confier au Cloud nouveau garant de votre mémoire, vous consultiez vos comptes en lignes et dépensiez quelques secondes de temps pour payer vos impôts sur une plateforme personnalisée. 

Bref, votre smart-phone était devenu la précieuse relique de votre culte numérique. Sans dogme, ni pénitence, avec pour seule promesse de paradis la perspective de l’efficacité. Vous n’étiez pas un homme pressé, vous étiez un homme connecté. Représentant d’une nouvelle espèce, l’homo sapiens technologicus

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Mais puisqu’il est d’usage qu’on finisse toujours par brûler ses idoles, un jour, vous en avez eu assez. Assez d’être épié, soumis, aliéné, oppressé, par la toute-puissance numérique. Alors en rédigeant un long post sur un réseau social, vous avez expliqué que vous alliez vous mettre au vert. Jouissant de la contemplation des champs, et d’une sérénité retrouvée. 

Mais très vite, vous avez découvert le curieux malaise de la fracture numérique. Vos textos en attente, l’impossibilité de télécharger un film à regarder au coin du feu, et surtout, l’impossibilité d’accéder à votre vie virtuelle, ciment de votre identité. 

Besoin de rien certes, mais quand même d’un peu de connexion 3G

Tenant votre téléphone en l’air comme s’il s’agissait d’une antenne hertzienne, vous voilà un peu dépité. Vous vouliez une detox digitale certes, mais vous n’étiez pas encore prêt à affronter un jeûne de toutes connexions. Vous vous sentez exclu, à l’écart, et vous ne savez plus à quelle application vous vouer. Que faire ? 

Heidegger nous regarderait sans doute avec mépris, pauvres de nous, qui ne savons habiter le monde autrement que par le biais de la technologie. Condamnant notre être, notre Dasein, à l’inauthentique. Mais plutôt que d’osciller entre un excès et un autre, entre le burn-out numérique et le néolithique, peut-être faut-il nous rappeler que dans Homo Sapiens Technologicus, il n’y a pas que technologique, il y a aussi Sapiens, le savoir, la capacité à penser. Même muni d’un smart-phone, rien ne nous dédouane de la construction d’une sagesse. 

C’est-à-dire d’une manière de bien vivre la technologie tout autant que notre destin numérique. Le numérique est un outil, non un objet, et encore moins une finalité

Libre à nous de faire usage de nuance autant que de pertinence, et plutôt que le subir, nous le réapproprier. Tiens, si on rangeait notre téléphone au moment du déjeuner ?