

Il y aurait des dizaines de significations à déplier (à lisser peut-être ?) quand on parle de la pilosité : Thibaut de Saint-Maurice se penche sur quelques paradoxes philosophiques de la pilosité...
Nous ne choisissons pas d'être poilus, mais nous choisissons ce que nous faisons de nos poils : on peut les conserver, les exhiber, les taillader ou au contraire les éliminer méthodiquement en les épilant. En fait dans le rapport au poil se rejoue tout le rapport entre ce qui nous est naturellement donné et ce que nous décidons d'en faire.
La gestion du poil n'est qu'une manière d'exprimer toute la gestion que nous faisons de notre corps, entre nature et culture.
Dans notre culture, le poil brille d'abord par son absence
D'abord d'un point de vue esthétique, toutes les sculptures grecques et les peintures classiques n'ont aucun problème à représenter la nudité (d'ailleurs surtout féminine) mais à condition que la pilosité en soit absente.
Il faut attendre le XIXe siècle et une certaine forme de modernité ou de naturalisme (Courbet par exemple) pour que le poil soit représenté et même parfois de façon absolument scandaleuse (on pense à son tableau L'Origine du monde)
La nudité glabre exprime une sorte d'humanité idéale : le kouros chez les Grecs, ce modèle de représentation de l'homme grec est glabre. L'absence de poils exprime une sorte d'éloignement par rapport à l'animalité et donc une sorte d'idéal esthétique - et aussi érotique.
Le poil est devenu plus politique
C'est une des significations sur laquelle j'aimerais insister, mais cette fois-ci "politique" au sens précis de la conception que l'on a de l'égalité entre les hommes et les femmes.
Les barbus fondamentalistes, qu'ils soient juifs, musulmans ou chrétiens orthodoxes font de la barbe le signe d'une différence qui va légitimer une hiérarchie.
Tandis que les autres barbus, les barbus "hipster", les barbus "cadre dynamiques", les barbus ministres ou même les barbus Premier ministre font, me semble-t-il, de leur barbe une réaction à la reconnaissance d'une égalité entre les hommes et les femmes.
Et pourtant, dans les deux cas, la pilosité est donc un élément de revendication de la différence sexuée : à mesure que les femmes deviennent progressivement les égales des hommes, les hommes réagissent par une sorte d'exhibition de leur pilosité.
Ce qu'il y a à penser ici, au fond, c'est la manière dont nos identités ne sont pas d'abord personnelles et puis ensuite sociales, culturelles ou politiques, mais en fait nous sommes d'abord des sujets sociaux culturels politiques qui jouons après avec des normes, avec des codes, avec des représentations pour en quelque sorte nous bricoler une identité dans laquelle nous allons nous reconnaître et que nous finirons par utiliser comme identité personnelle.
Au fond, c'est l'idée du philosophe Paul Ricoeur qui est ici assez pertinente : l'identité personnelle n'est pas une donnée naturelle mais au contraire le résultat d'un récit que nous ne cessons de tisser au fur et à mesure des événements de notre existence. Nos identités sont des récits et dans ces récits nous avons tous un chapitre à écrire à propos de nos poils.

L'équipe
- Production
- Chronique