Bonjour à tous en ce 3 mai décrété « Journée internationale de la liberté de la presse ». Reporters Sans Frontières publie à cette occasion une enquête sur les violences commises contre les journalises dans plusieurs pays de l’Union, avant de constater que la liberté de la presse est une réalité en Europe. Aucun journaliste assassiné sur ordre d’un état. Aucun journaliste emprisonné en raison de son métier. Et aucune censure officielle exercée contre tel ou tel. Ce qui n’empêche pas Reporters Sans Frontières de nous inviter à la vigilance, face à la concentration des médias, excessive dans certains pays de l’Union Européenne, ni de plaider pour que le principe de la protection du secret des sources soit mieux respecté. Certains trouveront cette enquête insuffisante ou trop modérée, même si RSF n’oublie pas les islamistes fondamentalistes qui, au Danemark, menacent de mort, journalistes et caricaturistes, au nom de leur religion. RSF n’oublie pas davantage les villes à haut risques, où des bandes terroristes ou mafieuses contraignent les journalistes à travailler sous protection policière. C’est le cas en Espagne, en Sicile, en Calabre et dans certaines de nos banlieues. Reste le reste. Entendez ces trois articles exhumés il y a quelques années, par l’excellent journaliste que fut Pierre Viansson-Ponté. Article premier : la presse n’est pas un instrument de profit commercial. C’est un instrument de culture. Sa mission est de donner des informations exactes, de défendre des idées et de servir la cause du progrès humain. Article 2 : la presse ne peut remplir sa mission que dans la liberté et par la liberté. Article 3 : la presse est libre quand elle ne dépend ni de la puissance gouvernementale, ni des puissances d’argent, mais de la seule conscience des journalistes et des lecteurs. Bigre, allez-vous penser… D’où sort cette charte qui fleure bon les utopies du XIX et du XXème siècle ? Ne cherchez pas, les trois articles que je viens de lire ont été adoptés, dans l’enthousiasme, à l’automne 1945, par la Fédération nationale de la Presse française. Viansson-Ponté les rappelait, trente ans plus tard, sous Giscard, dans une de ses chroniques du MONDE, et il commentait : « Hélas, ce beau projet préparé dès la fin de l’Occupation par le Conseil national de la Résistance, n’a jamais vu le jour ». Brave Viansson, comme nous l’appelions, la presse qui fête aujourd’hui encore Mai-68, rappelle à l’envi qu’on lui doit la petite phrase du texte prémonitoire… [La France s’ennuie] Belle occasion de retrouver – in extenso – sa chronique du 15 mars 1968 qui commençait ainsi : « Ce qui caractérise actuellement notre vie publique, c’est l’ennui. Les Français s’ennuient. Ils ne participent ni de près, ni de loin aux grandes convulsions qui secouent le monde ». Et le célèbre chroniqueur poursuivait : « De Gaulle s’ennuie, la jeunesse s’ennuie… Le premier qui ne voulait pas inaugurer les chrysanthèmes, continue d’aller au Salon de l’Agriculture et à la Foire de Lyon, et se décourage à voix basse de la vachardise de ses compatriotes… les seconds cherchent du travail et jugent inutiles ou incompréhensibles les empoignades des hommes politiques de tout bord. » Et Viansson concluait sur cette « mélancolie française » à deux mois des événements de mai qui allait la secouer. « Seules quelques centaines de milliers de Français ne s’ennuient pas : chômeurs, jeunes sans emploi, petits paysans écrasés par le progrès, victimes de la nécessaire concentration et de la concurrence de plus en plus rude, vieillards plus ou moins abandonnés de tous. Ceux-là sont si absorbés par leurs soucis qu’ils n’ont pas le temps de s’ennuyer, ni d’ailleurs le cœur à manifester et à s’agiter. Et ils ennuient tout le monde. La télévision, qui est faite pour les distraire, ne parle pas assez d’eux. Aussi le calme règne-t-il. » Bruno Frappat, dans sa chronique de LA CROIX ce samedi, revient sur tout cela, et il n’est pas le seul à évoquer ce qu’on appelait les « événements de mai ». Le NOUVEL OBSERVATEUR le fait également en rapprochant pour un débat de bonne facture… Daniel Cohn-Bendit, et le bon préfet Maurice Grimaud. L’ECLAIR DES PYRENEES titre lui aussi sur la révolution studieuse des Palois il y a 40 ans. Même chose au BIEN PUBLIC de Dijon, qui commence ce samedi, sa rétrospective : « Mai 68, que reste-t-il sous les pavés ? » Frappat lui, est fatigué des anniversaires d’événements millésimés. « Il y a des jours, écrit-il, où ceux qui eurent en 68 l’âge d’être jeunes, en ont par-dessus la tête de l’imagerie entretenue jusqu’à la nausée. Ils sont accablés par la niaiserie de certaines présentations-représentations obsédantes de la seule icône parisienne. Comme si la vie s’était alors arrêtée aux limites du périphérique. Trop d’images ressassées, trop de clichés… regrette le chroniqueur de LA CROIX, pour qui Mai-68 n’est qu’une auberge espagnole où chacun trouve ce qu’il y a apporté, puisqu’il ne s’est rien passé en 68… que dans les têtes ». Et Frappat, démenti hier, sur France Inter, par les deux Glücksman, d’évoquer les bêtises consternantes, de cette grande parlerie, dont les archives audiovisuelles ont peu de traces. « En fait, conclut-il, ce ne fut qu’un rêve fugitif de jeunesse. Or un fleuve ne garde pas la mémoire de l’eau sous les ponts. Même si elle y est passée. » Jean-Claude Guillebaud dans son « Ecoutez voir » du NOUVEL OBSERVATEUR, apporte une clé supplémentaire. Selon lui, l’audiovisuel ne montre pas le quotidien des gens, leur vie ordinaire. Il présente le plus souvent un monde factice, relevant du spectacle. Parce que la vraie vérité des vraies gens n’est pas forcément télégénique. Pour Guillebaud, tout dépend du regard, du bon spectateur, comme du bon journaliste. Un certains regard qui n’a pas grand-chose à voir avec la télé qui cavale. En vain le plus souvent. Et le chroniqueur de citer là-dessus Marcel Proust… « Le seul véritable voyage, le seul bain de jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux ». Quid, alors du regard des politiques ? La presse analyse le regard de François Fillon sur l’Amérique. Nous y reviendrons… Elle se demande aussi, avec Claude Imbert dans LE POINT… si Nicolas Sarkozy aime toujours le job… de président de la République. « Il faut espérer », dit Claude Imbert à la question que posait Frantz-Olivier Giesbert l’autre semaine. Lequel Giesbert apparaissait lassé, cette semaine des repentances du sommet… quand il écrit : « Une chose est de reconnaître ses erreurs. Il faut ensuite savoir en tirer les leçons. C’est ainsi que la politique cessera d’être ce métier magistralement défini par Winston Churchill, dans cette formule qu’on ne se lassera jamais de citer : « Etre capable de dire à l’avance ce qui va se passer demain, la semaine prochaine, le mois prochain, l’année prochaine. Et être capable, après, d’expliquer pourquoi rien de tout cela ne s’est produit. » Un autre politique. C’est dans LE POINT, ça s’appelle « Chronique de la pensée multiple. Un président qui regarde le président qu’il a été. C’est Valéry Giscard d’Estaing. Et il dit ceci : « Je ne crois pas qu’il faille multiplier l’envoi d’émissaires en Chine… » Et il continue : « Quant à moi, il se trouve que je suis le seul président de la République française à avoir visité le Tibet pendant son mandat : en 1980. J’ai insisté auprès des autorités chinoises, qui étaient réticentes à me donner leur accord. Le ministre des Affaires étrangères chinois m’a accompagné à Lhassa, notamment au palais du Potala. Je voulais témoigner ainsi de l’attention que je portais à la situation au Tibet sans offenser nos partenaires chinois. » Dans LIBERATION, à lire absolument, Alain Schifres dit dans son journal : « Moi j’ai plaisir aux choses qui n’en valent justement pas la peine. Il faut s’y faire, la vie est quotidienne. » Et en quelques lignes, il fait un délicieux et remarquable éloge de la paresse, en cette période de ponts.
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