Peut-on encore tout écrire ?

France Inter
Publicité

L’histoire se passe aux Etats-Unis. C’est l’histoire d’un livre, et c’est Philippe Gélie qui la raconte dans LE FIGARO. Il s’agit d’un roman, « The Continent », un roman signé Keira Drake qui, dit-elle, montre « comment nos privilèges nous font détourner le regard de la souffrance des autres ».

Il décrit un monde futuriste dans lequel une adolescente est prise au piège d’affrontements entre deux tribus, notamment celle des « Topi », dont les membres apparaissent « la peau rouge et les visages peints ». Il devait sortir en janvier, ce roman, mais avant, l’éditeur a décidé de le lancer sur Internet, afin de recueillir quelques impressions de lecteurs. Or les premières critiques se sont révélées assassines : des personnages « rétrogrades », une approche « raciste », un vocabulaire « offensant ». Sous la bronca, l’éditeur a envoyé au pilon les exemplaires déjà imprimés, et avec l’accord de l’auteur, il a alors embauché des sensitivity readers. Littéralement des « lecteurs de sensibilité ». 

C’est un nouveau métier aux Etats-Unis, et ils sont, semble-t-il, de plus en plus nombreux, les sensitivity readers. Leur travail : relire donc les textes, avant publication, pour vérifier qu’ils ne véhiculent aucun préjugé que certains pourraient juger blessant. Préjugé raciste, misogyne, homophobe. C’est ainsi qu’après six mois de relecture, « The Continent » de Keira Drake est finalement sorti en librairie en mars. Les Topi ont changé de nom. Ils s’appellent les Xoe. Leur « belle peau bronzée » est désormais « si blanche qu’elle pourrait être de papier ». Leur habillement est passé « d’ostentatoire » à « expressif ». Quant à leur chevelure « singulièrement noire », elle est devenue « argentée scintillante »… 

Publicité

Le magazine LIVRES HEBDO nous donne un autre exemple. Dans un polar, une romancière américaine s’est vue conseiller de ne pas utiliser les adjectifs « estropié » et « difforme » en parlant d’un chien qui avait perdu une patte. Ces mots, selon les lecteurs en sensibilité, pouvaient être perçus comme insultants par des personnes handicapées. « La littérature a vraiment du souci se faire », commente Mohammed Aïssaoui dans LE FIGARO : « Que faire, par exemple, du cynique Don Juan, de son attitude vis-à-vis des femmes et de sa tirade ‘Qui vit sans tabac n’est pas digne de vivre’ ? »

Bon, pour l’heure, en France, on n’en est pas encore arrivé à ces extrémités-là. N’empêche, le quotidien s’inquiète et le dit à sa Une. « La littérature sous l’œil des nouveaux censeurs. » Inquiétude partagée notamment par l’ancienne éditrice Térésa Crémisi : « On n’est pas à l’abri de ce qui se passe aux Etats-Unis ! Bientôt, les personnages des romans ne pourront plus tuer leur père ou leur mère ! » Pour LE FIGARO, la montée du « politiquement correct » menacerait aujourd’hui toute la culture française. Pour preuve, l’émoi provoqué par le loto du patrimoine lancé il y a peu. Parmi les édifices dont ce loto est sensé financer la restauration, figure la maison de Pierre Loti. Or des associations demandent qu’elle soit retirée de la liste, au motif que l’écrivain a tenu des propos haineux contre les Juifs et les Arméniens. Emmanuel Macron doit visiter ladite maison jeudi, en compagnie de la ministre de la Culture. 

Cela dit, dans les journaux, pas de censure aujourd’hui… Non, aucune, et tant pis pour âmes sensibles. C’est la violence du monde, sa dangerosité. 

LE PARISIEN consacre sa Une et son dossier au trafic de cocaïne : « Comment les trafiquants inondent la France ». De plus en plus personnes, recrutées en Guyane, risquent leur vie en prenant l’avion après avoir avalé des sachets de drogue destinées à l’Europe. On les appelle des « mules » et les autorités sont aujourd’hui dépassées. Ces mules ingèrent en moyenne 500 grammes de cocaïne, conditionnées sous forme de boulettes. Elles ont entre 13 et plus de 80 ans, des dizaines atterrissent chaque jour à Orly en provenance de Guyane. Si une boulette explose, c’est la mort assurée. Les policiers sont sous pressions. Ils dénoncent un manque de moyens. 

LA DEPÊCHE DU MIDI nous parle d’un autre trafic. Un réseau d’esclaves démantelé à Toulouse. Un trafic d’êtres humains venu de Bulgarie. Des chefs mafieux tyrannisaient une trentaine de mendiants qu’ils avaient  postés aux feux rouges de la ville. Des coups quand ils ne récoltaient pas assez d’argent. Et on les empêchait de repartir dans leur pays. On leur avait pris leurs papiers. Onze personnes arrêtées. Et les mendiants demandent à rentrer chez eux.

Autre interpellation, cette fois dans les rues d’Amiens… C’est à lire dans LE COURRIER PICARD. Une interpellation pour conduite de poussette en état d’ivresse. Une mère de famille complètement saoule qui promenait son enfant, tout en exhibant un couteau devant les passants. Quand la police est arrivée, elle n’a rien trouvé de mieux que de dissimuler le couteau… dans la poussette. Après l’alcool au volant, voilà donc l’alcool en poussette. C’est la première intervention du genre pour les policiers d’Amiens.  

Et puis, autre tourment à la Une de NICE MATIN : c’est « Le jeu violent qui inquiète au collège ». La direction d’un collège de Saint-Martin-du-Var vient de donner l’alerte. En l’occurrence, le jeu s’appelle « le jeu du potager ». Il s’agit de cogner et de griffer un camarade tout en égrenant l’alphabet. Bien évidemment, ceux qui se font cogner et griffer n’ont pas forcément envie de jouer. 

Et quand on regarde à l’étranger, on n’a pas trop non plus, ce matin, de raison de se réjouir.

On feuillète LE MONDE. Reportage remarquable, mais désolant de Joan Tilouine : « A l’épicentre d’Ebola ». Il s’est rendu dans le Nord-Ouest de la République démocratique du Congo. Région considérée comme le point de départ de l’épidémie actuelle d’Ebola. Visite d’un village où le virus s’est propagé. Les équipes sanitaires se heurtent aux traditions locales, dont certaines favoriseraient la propagation de la maladie… En premier lieu, les rituels funéraires. Selon la tradition locale, le cercueil doit rester un moment ouvert, pour permettre à l’âme de s’extraire. Et des centaines de malheureux le touchent alors, sans en mesurer les risques. 

On feuillète LE FIGARO. En Chine, des musulmans sont internés en masse afin d’être « rééduqués ». Officiellement pour « éradiquer l’extrémisme ». Depuis 2017, un million de musulmans auraient été envoyés dans des camps de rééducation.

On feuillète LIBERATION.« A la Haye, le Congolais Bemba acquitté par la Cour pénale Internationale. » Il était jugé pour crime de guerre » et crime contre l’humanité et, d’après le quotidien, la cour pénale est aujourd’hui totalement décrédibilisée.

Cela dit, c’est un autre sujet qui fait la Une du journal. Avec une décision qui parait incompréhensible. LIBE revient sur l’autorisation délivrée au groupe TOTAL d’ouvrir une raffinerie dédiée à l’huile de palme dans les Bouches-du-Rhône. Une décision qui fait hurler aussi bien les écolos que la FNSEA, et qui met en lumière les travers d’un carburant qui n’a de « bio » que le nom. Une déforestation massive, une faune décimée, bilan carbone catastrophique. « La pompe à retardement », titre le quotidien, qui précise que les agro-carburants à base d’huile de palme sont encore plus nocifs pour la planète que le diesel fossile. 

Et dès lors, pour retrouver un petit peu de légèreté au milieu de ces infos pas franchement très joyeuses, on remercie LE POINT, qui propose cette semaine un « Dico franco-Hidalgo ». Anne Hidalgo, dixit l’hebdomadaire, utilise une langue à elle. Le groupe LR de la mairie de Paris a d’ailleurs édité un dictionnaire de traduction un brin moquer, et LE POINT y a ajouté quelques entrée. Par exemple, pour évoquer la saleté, à la mairie de Paris, on parle d’une « dynamique naturelle à la salissure »… Pour évoquer la suppression de certains feux tricolores, la mairie de Paris parle d’un « langage moins routier ». Une hausse des tarifs, c’est une « modernisation tarifaire ». La promotion du recyclage, c’est « le schéma destructeur de la production linéaire ». Et pour les espaces verts laissés à l’abandon, on parle de « végétation verdoyante, sauvage et spontanée ». C’est à se demander si la mairie de Paris ne fait pas appel à des « lecteurs de sensibilité ». 

L'équipe