Les treize soldats morts au Mali ont le regard droit qu'on sait aux militaires, ils sont les "délégués d'un peuple" écrit la Croix. Mais dans l'Opinion, Jean-Dominique Merchet, qui connaît les militaires, s'interroge sur "l'inflation verbale, est-on un héros si l'on meurt dans un accident ?"
On parle bien sûr des soldats français morts lundi au Mali...
Et parfois par un mot, ils nous viennent vivants, j'apprends par Sud-Ouest qu'à Mazeroles, son village, on surnommait Jim, l'adjudant-chef Julien Carette, et je sais par Le Parisien que Jim avait passé quatre ans à construire sa maison, elle était juste finie, il avait rangé soigneusement son garage avant de partir au Mali et à l'école on l'attendait pour manger des crêpes à son retour en février...
Rituel de deuil collectif
C'est un rituel des deuils collectifs, de lire les journaux et d'imaginer des hommes comme nos frères nos voisins.
Alexandre Protin, Maréchal des Logis chef, est à l'une de l'ardennais, il était né à Charleville, Nicolas Megard, capitaine, est à la une de Nord Littoral, il avait grandi à Calais et enfant était champion de voile au club d'Ardres, ses parents s'étaient engagés auprès des migrants, sa maman, Nadine, est artiste calligraphe, il y a quelques années, La Voix du Nord avait parlé d'elle qui initiait des enfants à la beauté du trait, c'est son fils mort que je vois aujourd'hui en médaillon à la une du journal nordiste avec Julien Carette, Jim était né à Roubaix.
Des photos s'alignent comme à la parade aux unes du Parisien, du Figaro, ils ont sous le képi, le béret, ce regard droit que l'on sait souvent aux militaires, ils étaient des soldats pour qui la mort est une hypothèse,
«J’ai senti toute ma vie que mon mari pourrait se planter. C’était pareil pour Clément. Je l’ai toujours eu en tête", dit dans Sud-Ouest, Maguelonne frison Roche, militaire, épouse de militaire, mère du capitaine Clément Frison Roche, pilote d'hélicoptère qui était donc un de ceux que La Croix dans son éditorial appelle "les délégués d'un peuple", reprenant les mots d'Emmanuel Macron...
Parlons nous trop bien de ces jeunes morts ?
Dans L'Opinion écrit un homme qui connaît les militaires. Il s'appelle Jean-Dominique Merchet, il s'interroge sur un autre mot du Président Macron, qui hier dans un tweet a appelé des "héros" les soldats morts lundi.
"En quoi la mort d'hommes dans un accident, aussi dramatique soit-il, est-elle héroïque? Cette inflation verbale témoigne de l'énorme distance que la société française entretient -fort heureusement- d'ailleurs avec la culture de guerre. Il n'en reste pas moins indispensable comme le réclament des officiers en retraite de débattre de l'efficacité stratégique de engagement militaire de la France au Sahel, alors que 44 jeunes français y sont déjà morts et plus encore en sont revenus blessés, parfois handicapés ou traumatisés à vie..."
Et Merchet sonne juste, nous venons de débattre avec le général Lecointre, et les journaux débattent, ils ont cette double fonction de nous faire communier au deuil et de nous en réveiller.
La Une de Sud Ouest dans le Béarn parle du deuil de Pau, d'où venaient sept des soldats disparus, mais ses autres éditions titrent: "Pourquoi ?" La France est trop seule à se battre au Sahel, "ce ventre mou vaste comme l’Europe formé d’États faibles", le Mali dont les djihadistes ont humilié l'armée serait tenté, lis-je dans Le Figaro, de négocier avec eux. Oui on débat, nous n'aurions pas le choix dit La Provence, mais on interroge ce que nous pouvons faire. Dans le Figaro, je lis, c'est un très bon reportage qui complète ce que l'on dit du Sahel. il se passe en Centrafrique à Bangui, une capitale naufragée où des policiers français, des superflics, mais aussi des gendarmes, des douaniers, des agents des Eaux et Forêts, forment les forces de l'ordre d'une ville naufragée, qui dépend pour son ravitaillement d'une route qui vient du Cameroun, une route que s'étaient appropriée les pillards, et que nous aidons à reconquérir, il flotte dans ce reportage l'idée d'un fardeau français.
Mais les militaires ne font pas toutes les Unes.
Et on est presque choqué de voir que La Montagne, édition de Corrèze, titre sur le public briviste qui serait le meilleur public de France, est-ce sérieux ou est ce juste la vie ? La Montagne raconte aussi le maréchal des logis, Antoine Serre, qui avait 22 ans, un auvergnat qui aimait le trail et le football, serait-il choqué de son propre journal....
On fait donc parfois, simplement, le choix d'une vie. il est important pour le journal de Saône et Loire qu'Adrien-Simon de la Meulière à Chalon-sur-Saône, meilleur jeune boulanger de Bourgogne, triomphe en finale nationale, il est important pour l'opinion de mettre à la Une, l'agribashing, quand les syndicats agricoles manifestent à paris, il est important pour l'Yonne républicaine d'afficher Alexandra Devinat, épouse de Julien, agriculteur à Chaumont, dans un monde paysan où d'habitude on se tait.
Les Échos et Libération ont décidé de mettre le climat à la une quand l’ONU dénonce l'échec collectif des États.
Libération est parsemée de dessins, puisque c'est le salon du livre jeunesse de Montreuil, et la littérature enfantine fait la une de Télérama. on nous dit qu'on peut, on doit, lire des pièces de théâtre à nos enfants, dès sept ou huit ans, dans une langue épurée, mais une langue du théâtre qui est proche de la poésie, loin des télés, des réseaux sociaux, de la rue, des radios écrit Télérama... En radio, on s'applique pourtant...
Et des pilules pour finir.
Des pilules pour que les enfants obéissent, c'est dans_Le Monde diplomatique_ qui raconte la Ritaline, médicament miracle venu des États-Unis, à l'origine destiné aux enfants hyperactifs, mais dont l'influence s'étend, au risque de la dépendance.
Le Monde se penche sur une autre chimie, la Kétamine, un médicament utilisé en anesthésie, ou une drogue récréative, qu'on consomme dans les free parties britanniques, les clubs berlinois ou les festivals techno en France, qui procure la sensation d'être en dehors de son corps, bousculé d’hallucinations auditives et pénétré de lumière...
Le Monde, plus sagement, mais c'est passionnant et encore musical, raconte comment des scientifiques sont allés étudier les chants, les mélodies, les berceuses, les sérénades des peuples de la planète, pour y trouver des traits communs, on chanterait en chœur entre chamanes de Sumatra et inuits des terres gelées ?
En France, L'Express me le dit, on est tombé amoureux de la musique country, jusqu'aux vêtements de cowboys sans lesquels la fête serait incomplète.
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