Alain Rey savait que le français grandissait de ses fautes, et était une langue politique, il s'était échappé à la méchanceté d'un père pour grandir pour nos mots, le Monde, la Montagne, Libération, l'Obs... Le Figaro et le Point rappellent l'ignominie de Paul Morand en dépit de son style...
On parle d'un mot!
Qui depuis hier soir détermine nos existences et qui se décline en avatars dans nos journaux, "Reconfinés"! disent les unes de Sud-Ouest et du Figaro.... Mais ce mot, un homme rare et drôle, Alain Rey; l'avait cerné dès le mois d'avril sur un site internet cher à son coeur, celui le petit Robert dont il était l'un des inventeurs...
"Confinement est sans aucun doute le mot du jour, jour un peu long, à notre regret, mais qui incite ou qui invite à la réflexion. Corona, contaminé, virus et viralité, ne parviendront pas à nous faire passer le goût du pain et du vin. Acceptons d"être « confinés », mais au sens que ce mot eut à la fin du Moyen Âge : « aller jusqu'aux confins ». Or, les confins de la langue française, c'est le monde."
Et il nous manque cet homme qui dans nos enfermements nous invitait au grand large... Alain rey, parti entre mardi et mercredi a raté la péroraison du Chef de l'Etat, mais en 92 ans sur cette terre, il aura bien animé notre belle langue. Il fit la joie des matinales d'Inter, des rappeurs Big Flo et Oli le du youtubeur Squeezie et lui disait ceci: "L'avenir du français, je le vois comme une évolution permanente. Les fautes d'un jour deviennent les règles du lendemain", c'est Libération qui le rappelle, forcément trempé d'indulgence comme on l'est à gauche... Alain Rey était de cette famille, l'Humanité le revendique et Mediapart aussi, pour qui en 1991 il avait décortiqué des mots pièges du discours politique - ainsi "flux migratoires" qui suggérait que les migrants n'étaient pas des êtres libres mais une catastrophe naturelle, une inondation... Il savait Alain Rey que les mots sont politiques, il les avait dialectisé et humanisé, la Montagne le cite joliment. "L’idéologie de l’élite, des couches supérieures, ignore superbement ou juge sévèrement, dans l’ignorance têtue du réel social, tout autre usage que le sien. Au contraire, le petit robert est ouvert à la diversité; il veut combattre le pessimisme intéressé et passéiste des purismes agressifs comme l’indifférence molle des laxismes."
Et cette balance le disait ni laxiste ni indifférent, Alain Rey voulait féminiser le langage mais s'était opposé à l'écriture inclusive, il séduisait aussi le Figaro par son air de gaulois, et l'Obs pour son amour des dictionnaires, le monde rappelle qu'il aimait l'adjectif, luciférien, car Lucifer est porteur de lumière. En septembre 2019, Rey avait raconté son enfance au Monde, comment enfant, il préférait les bandes dessinées interdites, américaines, Guy l'Eclair, Mandrake le magicien, aux Tintins qu'on lui autorisait... Il raconte aussi comment pour grandir il avait rompu avec un père antisémite virulent... Lui avait voulu voir les confins des autres...
On parle aussi de mots violents...
Et est curieux après avoir salué Rey de lire un homme qui fut son contraire, méchant et haineux antisémite au plus dur la seconde guerre mondiale, mais qui était pourtant de langue et de livres beaux, Paul Morand, dont on publie un journal inédit des années quarante et dont sort une biographie, inspire au Figaro et au Point des articles splendides et difficiles, où l'ironie combat la colère et entretient un étrange regret; on nous dit qu'un homme fut séduisant et drôle, qu'il croqua avec acuité Londres au moment de la débâcle française et puis Vuichy, le Président du conseil Pierre Laval était son ami... On lit la demande drolatique de l'auvergnat collabo Laval au chanteur corse Tino Rossi, "vous devriez m'écrire des chanson politiques"... Mais le même Morand espiègle pouvait écrire, ceci, entre autres ordures... "Ce martin dans un parc j'ai vu un juif sur un pur sang. toute la noblesse du cheval blanc était écrasée par la masse ignoble et triomphante du youpin". Morand, que faire de cela, mourut à l'académie.
il faut pour se consoler de ces lectures aller sans ciller vers des sentiments simples, et doux, vers des héros. Prendre alors France football cette semaine et se réparer de l'amour absolu qu'inspire au journal Diego Maradona 60 ans demain. On peut lire aussi dans l'Obs et dans Causette, jeune journal féministe, l'amour intense qu'inspire à Valérie Lemercier la chanteuse Céline Dion, Lemercier en parle avec l'immédiateté des adhésions sincère, c'est avec la même adhésion que Lemercier interprète le personnage de Dion au cinéma dans un film dont la sortie a été repoussée..; Lemercier cite Shakespeare au Parisien: « Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser. »...
On parle enfin d'une femme.
Qui a choisi de mourir parce que le monde autour d'elle ne changerait pas en dépit de son courtage: lisez dans le Monde le long portrait d'une journaliste russe qui le 2 octobre s'est immolée par le feu dans sa ville de Nijni-Novgorod, et avant de mourir elle en a accusé le pouvoir russe qui la harcelait comme on harcèle les journalistes libres dans les pays qui ne le sont pas... Elle s'appelait Irina Slavina, elle avait la force des bateliers de la Volga qui baigne la ville, elle dirigeait un media au nom obstiné, la Chèvre, et partait sans cesse à l'assaut des pouvoirs, des corruptions, des ententes illicites qui cernent un peuple désabusé qui ne vote même plus; elle soulevait des scandales agricoles; dénonçait un projet immobilier, même son mari ne tenait pas le compte de ses combats, elle avait connu plus de défaites que de victoires... Ses amis voudraient donner son nom à un square qu'elle avait contribué à sauver.
Le pouvoir étouffe les âmes ou tord les mots, nous avons aujourd'hui qu'ils sont importants... Libération rend compte d'un libre terrible, "Dictature 2.0", qui analyse la stratégie orwellienne du pouvoir chinois, qui forge un vocabulaire pour assurer son emprise , ceux qui ne marchent pas au langage inversé s'en vont en prison...
Philosophie magazine s'interroge aussi sur le pouvoir, pas forcément celui des dictatures, et au moment du covid et du reconfinement, son interrogation fait mouche... Le journal réfléchit sur la fusion du travail et de la vie privée, et ranime aussi un concept inventé par Michel Foucault, la "biopolitique", que notre actualité rappelle.. Pour notre santé, le pouvoir agit sur nos vies, sur nos corps: "La plus haute fonction du pouvoir n'est peut-être plus de tuer mais d'investir la vie de part en part"...
Le confinement nous revient. Peut-on y réfléchir, puisque le virus va nios accompagner encore longtemps. Je lis dans le Monde que des épidémiologistes britanniques suggèrent de confiner régulièrement les populations, même sans flambée épidémique, par exemple quinze jours tous les deux mois, des confinements préventifs en attendant notre guérison, nous souffririons moins, nous serions avertis par la régularité...
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