(Patrick Cohen) Dans la presse ce matin : la boîte de Pandore
(Bruno Duvic) Il était au cœur de l'affaire Elf dans les années 90. Le statut de pestiféré, il connait. L'Express dresse cette semaine un portrait de Loïck le Floch Prigent. Un proche raconte cette anecdote. "Un jour Loïck m'a dit qu'il avait compris comment les Hébreux avaient traversé la mer (cet épisode de la Bible où la mer rouge s'écarte devant le peuple hébreu). C'était dans une église bondée. Il avait vu l'assistance s'ouvrir devant lui en détournant le regard."
Et le temps ne fait rien à l'affaire. Là, c'est le fils le Floch Prigent qui raconte. "A Paris des gens demandent à changer de table au restaurant pour ne pas se trouver à côté de lui."
Au cœur de la lessiveuse... Jérôme Cahuzac employait lui même cette expression dans un article récent du Monde . Selon Le Figaro de ce matin, il est logé chez des amis, refuse de lire la presse, écouter la radio, regarder la télévision. En revanche, son téléphone a beaucoup fonctionné dans les heures qui ont suivi ses aveux. Il a envoyé des centaines de SMS à des amis, des élus, des ministres pour demander pardon.
Et à en croire son ancien collaborateur à Villeneuve sur Lot, Yannick Lemarchand, hier matin encore, il n'avait pas tout à fait renoncé à la politique. « Il n'a pas encore décidé s'il revenait à l'assemblée ».
Dans cet article d'Anne Rovan et Solenn de Royer, des proches qui ont recueilli ses aveux avant qu'ils ne soient publics, doutaient il y a quelques jours de sa capacité à survivre. Yannick Le marchand lui a trouvé plutôt bonne voix au téléphone hier matin.
S'il veut garder une bonne voix, on conseille à l'ancien ministre de ne pas s'attarder à la lecture de la presse ce matin. Il est encore énormément question de lui...
Mais il y a des changements à la Une
Autant hier, c'était Jérôme Cahuzac lui même qui revenait sur toutes les premières pages. Là c'est François Hollande qui le remplace bien souvent ou l'accompagne. Du Courrier Picard aux Echos , du Parisien aux Dernières Nouvelles d'Alsace , du Petit bleu d'Agen à Libération , ce n'est plus l'affaire Cahuzac, c'est une crise politique qui fait la Une, sur fond de rumeur ou d'appel à un large remaniement ministériel.
Que savaient-ils ? La boîte de Pandore est ouverte. L'ex ministre du Budget est au tapis, que savait celui de l'Economie, son ministre de tutelle ? Toute la presse s'interroge sur cette demande d'entraide fiscale adressée aux autorités suisses et qui s'est traduite par un titre du journal du Dimanche le week-end des 9-10 février : "Les Suisses blanchissent Cahuzac". La demande portait sur la seule banque UBS et concernait la période 2006-2013. A cette époque, le compte n'était plus à l'UBS et même à la fin plus en Suisse. Pierre Moscovici proteste de sa bonne foi. "Il essaye de circonscrire l'incendie qui le menace", titre Mediapart . « Je n'ai cherché ni à entraver la justice ni à blanchir un copain (…) L'article du JDD est une opération de com' montée par je ne sais qui ». Et il dit dans Libération avoir transmis les documents aux commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée.
Du ministre de l'économie à celui de l'Intérieur.
Comment le premier flic de France, l'homme en principe le mieux informé du pays, n'a-t-il pas reçu une série d'alertes ? Dixit Le Figaro ce matin, dès le 13 février, la police judiciaire avait des informations solides et la logique voulait que le ministre soit prévenu. Petit phrase fielleuse de Claude Guéant dans cet article du Figaro : « Il y a moyen de savoir si l'on veut savoir. »
Démenti catégorique de Manuel Valls dans Libération . Il dément aussi toute enquête parallèle (pratique d'une autre époque, dit-il) et toute note adressée à François Hollande dès le mois de décembre.
On en vient au plus haut sommet de l'Etat. Les informations de Mediapart en décembre, le coup de fil de Michel Gonelle, l'un des acteurs clés de cette affaire à l'Elysée mi décembre, l'enquête préliminaire... Cela fait quelques alertes rouges. Parole à la défense. L'avocat Jean-Pierre Mignard, à la fois proche de François Hollande et avocat de Mediapart , dans Libération : « Son (François Hollande) raisonnement a été d'aligner sa réaction sur la procédure judiciaire, procédure qui a suivi son cours sans entrave. Est-ce que des doutes suffisent pour devenir des soupçons ? Malgré l'immense respect que je porte à la liberté de la presse, seule la justice est en mesure d'apporter une réponse adaptée. »
Dans la boîte de Pandore, on trouve encore cette information du Guardian , le quotidien britannique. C'est un article exclusif intitulé "Ces fuites qui révèlent les secrets des riches qui cachent de l'argent dans des paradis fiscaux". Des milliers de noms émergent, selon le Guardian . Des milliers de noms, parmi lesquels celui du co-trésorier de la campagne de François Hollande, Jean-Jacques Augier, qui doit reconnaître qu'il avait des associés chinois qui planquaient de l'argent. Ce qui ne veut pas dire évidemment qu'il faille faire un lien avec la campagne de 2012.
Et dans la boîte de Pandore, on trouve donc depuis hier un proche de Marine le Pen.
Philippe Peninque, ex du Gud, l'organisation étudiante d'extrême droite, adepte du coup de poing dans les facs et ailleurs. C'est lui qui a ouvert le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac en 1992. Il le reconnait dans une interview ce matin au Parisien . Philippe Péninque est aujourd'hui un conseiller proche de Marine le Pen. « Et quelle est ma responsabilité ? » demande Marine le Pen. Et sur lepoint.fr , elle ajoute : « Si le système n'a trouvé que ça, c'est que je mérite vraiment d'être présidente de la République. »
C'est lemonde.fr qui a révélé cette information. Dans l'article d'Ariane Chemin, Caroline Monnot et Abel Mestre, on apprend que Jérôme Cahuzac était proche de cet ancien du Gud et d'un autre. Week- end amicaux, parties de golf et investissements communs dans des mines de sel au Pérou. L'argent allait ensuite sur un compte UBS, raconte un financier au Monde .
De la crise politique à la crise morale
« Le nouveau désordre moral ». C'est la Une du mensuel Causeur , désormais en vente en kiosque. Et on trouve dans ce numéro une interview de l'intellectuel Marcel Gauchet. Interview mise sous presse avant l'affaire Cahuzac, mais qui tombe à pic.
Marcel Gauchet décrit la société française comme « divisée par une fracture morale ». Et ce qui creuse cette fracture selon lui, c'est la mondialisation, « Far West planétaire. Elle fonctionne comme le moyen pour les acteurs les plus puissants de s'affranchir des règlent qui s'appliquent dans les espaces nationaux. Cela a peu à peu pénétré la conscience collective au point de modifier la donne de la vie sociale, à tous les niveaux. Cet impact se traduit par un dilemme qui travaille confusément au quotidien l’esprit de tout un chacun : faites vous partie des couillons qui continuent bêtement de respecter les règles, ou êtes-vous du côté des malins qui ont compris le nouveau système ? » Marcel Gauchet décrit la finance offshore comme « la clé de voute de ce territoire de chasse. »
Mais il pointe aussi l’hypocrisie de chacun d’entre nous : « Nous vivons sous le régime de la morale de l’exception. On ne refuse pas la règle, on s’y déclare même favorable, mais s’agissant de son propre cas, on pense qu’il est normal de négocier – ‘Moi ce n’est pas pareil’.
Titre de l’interview : « 65 millions d’exceptions à la règle »
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