La liberté des mots, une vraie richesse

France Inter
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De Jacqueline Sauvage à Asli Erdogan, de Debbie Reynolds à Abi Al-Muqri, un tour d'horizon d'une liberté de parole plus que jamais nécessaire. Par Laëtitia Gayet.

Esprit libre en Turquie.

A la Une du Monde, regard dur. Asli Erdogan a les yeux tournés vers une fenêtre, l'extérieur. A la Une de L'HUMANITE et dans les pages intérieures du POINT, Asli Erdogan est cette fois adossée à une façade. Mais son regard semble plus inquiet. L'écrivaine turque comparaît aujourd'hui, avec huit autres intellectuels de son pays pour leurs écrits contre le pouvoir conservateur en place. Elle comme les autres, risque la perpétuité.

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Car Asli Erdogan est un esprit libre. "Elle a l'oppression inscrite dans sa chair écrit Lina Sankari dans L'HUMA. Elle a toujours été du côté des exclus confirme une amie au MONDE. Par ses écrits sur la répression contre la rébellion kurde, elle est accusée d'avoir porté atteinte à l'intégrité de l'Etat turc. Ces charges détonnent avec la personnalité de cette femme trop indépendante pour porter une étiquette.

En témoigne son autoportrait lu par son comité de soutien. C'était à l'automne, sur France Culture :

"L'un de mes premiers souvenirs, c'est à quatre ans et demi : lorsqu'on est venu chez nous, un camion rempli de soldats en armes. Ma mère pleure. Les soldats emmènent mon père. Ils le relâchent, plusieurs heures après, parce qu'ils recherchaient quelqu'un d'autre. Mon père avait été un dirigeant important du principal syndicat étudiant de gauche. Mes parents ont planté en moi leurs idéaux de gauche, mais ils les ont ensuite abandonnés. Mon père est devenu un homme violent. Aujourd'hui, il est nationaliste."

Asli Erdogan dit ce qu'elle pense. De sa famille, on vient de l'entendre, et de la dérive autoritaire en Turquie. L'HUMA et LE MONDE reprennent une lettre parue le premier novembre dernier. Elle y mettait en garde l'Europe, focalisée sur la crise des réfugiés. Elle ne semble pas se rendre compte dit-elle, des dangers de la disparition de la démocratie en Turquie. L'Europe doit prendre ses responsabilités. "Son nom, écrit LE POINT, est devenu le symbole de la répression en Turquie menée par son homonyme, Recep Tayyip Erdogan"

Esprit libre au Yémen.

Ali Al-Muqri est journaliste et écrivain yéménite. Lui écrit notamment sur le désir féminin. Scandale ! A L'HUMA, il affirme :

"Montrer qu'une femme puisse s'engager avec Al-Qaïda signifie qu'il y a un problème de sexualité dans la société musulmane. Toutes les religions coupent le désir. Je veux croire, dit encore Ali Al-Muqri, que la révolution sexuelle sera plus forte que l'idéologie." Son livre Femme interdite, un professeur d'université qui voulait en faire l'analyse, s'est heurté au refus d'une partie de ses étudiants. Il a été licencié et a fui en Egypte. Ali Al-Muqri lui, n'est pas emprisonné au Yémen. Mais sa tête est mise à prix par Al-Qaïda"

Esprit libre au Maroc.

Des professeurs de philosophie se mobilisent contre les nouveaux manuels scolaires d'éducation islamique. A lire dans LE MONDE, au chapitre 'Philosophie et foi', un ouvrage, destiné aux lycéens, définit la philosophie comme une production de la pensée humaine contraire à l'islam, et l'essence même de la dégénérescence. D'autres passages affirment qu'il faut distinguer les sciences religieuses des autres, profanes, comme les mathématiques, la physique ou les sciences et vie de la Terre. Affirmer que les sciences humaines sont contraires à la religion encourage l'obscurantisme déplore un journaliste marocain.

Esprit libre en Russie.

Là aussi, on peut se poser des questions. Le journal suisse, LE TEMPS a rencontré Timour Boulatov, activiste russe qui traque sur internet, les enseignants homosexuels. A son tableau de chasse, 65 personnes contraintes de démissionner. Sa dernière victime, Maria, jeune professeure de musique d’à peine 21 ans a été contrainte début décembre, d'elle aussi démissionner. Timour Boulatov, joallier de 40 ans, et musulman pratiquant, s’est improvisé en procureur. Il a dit-elle, épluché presque 3000 messages et plus de 800 photographies sur sa page de l'équivalent russe de Facebook. Il a envoyé le tout à la police et à la direction de l'école. L’aspect le plus frappant dans la traque, c'est la coopération des autorités russes. «C’est l’Occident qui cherche à nous affaiblir» dit Boulatov. J’espère que la Russie sera bientôt le premier pays au monde où le système sera complètement débarrassé de cette engeance."

Esprit libre en France.

Et véritablement libre cette fois. Avec la libération de Jacqueline Sauvage hier. Un mot pour résumer la presse ce matin. Un mot et un seul, à la une de L'INDEPENDANT et de L'ECHO REPUBLICAIN : Libre. Le chemin fut long résume LIBERATION. Pourquoi François Hollande a-t-il gracié Jacqueline Sauvage ? LE PARISIEN-AUJOURD'HUI EN FRANCE tente de répondre à la question. Il a demandé les avis des premiers ministres actuels et anciens, des ministres de la Justice actuels et anciens. A tous, il a demandé : "Et toi ? tu ferais quoi ?" Cette décision est révélatrice de son état d'esprit. Depuis qu'il a renoncé à se présenter, le président se sent libre de faire ce qui lui semble juste. Un ami du président va jusqu'à le comparer avec Barack Obama en fin de mandat, qui s'autorise, par exemple, à laisser passer une résolution de l'ONU condamnant la colonisation israélienne. A LIBERATION, un élu hollandais ajoute : "A ce rythme là, il va terminer avec 75% d'opinions favorables. Il est en état de grâce".

Adieu Culbuto... voici François le Juste poursuit Bruno Mège dans LA MONTAGNE. Mais si juste soit la décision, "avec François Hollande la politique n'est jamais loin" conclut LE PARISIEN-AUJOURD'HUI EN FRANCE. Celui qui a été élu président normal souhaite que l'on se souvienne de lui en président humain.

Esprit libre en mer, et ailleurs...

Il faut regarder le site du VENDEE GLOBE pour se rendre compte de la liberté de ces marins. Magnifiques photos de ces bateaux qui foncent vers la ligne d'arrivée. De cette lutte entre Armel Le Cléac'h, englué dans un anticyclone en forme de haricot, et Alex Thomson, le Britannique, qui grapille des milles, lentement mais sûrement.

Il faut aller regarder le sourire de Debbie Reynolds embrassée par sa fille Carrie Fisher sur le site du NEW YORK TIMES. Debbie Reynolds l'ingénieuse ingénue dans les films américains des années 1950 comme "Chantons sous la pluie". Elle est morte quelques heures après Carrie Fisher. Mais comme sa fille, elle savait être tranchante. A propos de son ex-mari Eddie Fisher, elle disait : "Il ne pensait pas que j'étais drôle. Il pensait que je n'étais pas bonne au lit. Je ne savais pas faire la cuisine. La seule chose qu'il a aimé de moi, c'est sa fille qui avait pris mon nez."

Debbie Reynolds comme sa fille, avait la liberté des mots. Une vraie richesse. Mais elle a besoin d'être entendue. Je vous laisse avec les derniers mots de l'autoportrait d'Asli Erdogan. Parce qu'il faut entendre ses mots pour ne pas oublier l'essentiel : la liberté d'expression.

"Je ne me sens chez moi que lorsque j'écris. Vingt ans plus tard, aujourd'hui, je me sens toujours comme une sans-abri. J'aime bien Cracovie, je pourrais y rester encore longtemps, mais je sais bien qu'il faut laisser la place à ceux qui attendent un asile. Il faudra bien que je retourne en Turquie. En attendant, chaque jour, je me dis que dans mon pays tout le monde sait bien que je suis devenue l'écrivaine turque la plus populaire. Tout le monde le sait, mais pourtant tout le monde se tait. C'est sans doute cela, aujourd'hui, l'exil le plus terrible".

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