La vie… malgré tout
Plus de 260 morts, près de 1.500 blessés, et déjà plusieurs centaines d’arrestations : c’est le bilan de la tentative de coup d’Etat menée par les militaires turcs dans la soirée de vendredi. Un coup d’Etat « très improvisé », relève Ariane Bonzon sur SLATE.FR. « Il a été mené par un groupe d’officiers opposés au régime du président Erdogan, officiers qui, visiblement, avaient imaginé qu’une fois le putsch lancé, le reste de l’armée les soutiendrait, ce qui n’a pas eu lieu. » Et ma consœur de rappeler que l’armée turque est coutumière de ce genre d’opération. En un demi-siècle, la Turquie a connu pas moins de quatre coups d’Etat militaires : en 1960, 1971 et 1997 et, surtout, en 1980, où le gouvernement fut chassé par un conseil de six généraux.
Cette fois, cependant, le putsch a échoué. « Erdogan mate une tentative de coup d’Etat », titre ainsi l’édition du MONDE. Confirmation du JDD : « Erdogan écrase le coup d’Etat ». Récit de cette soirée sanglante, qui a bien failli voir la Turquie basculer. 22H30 à Istanbul : les deux ponts enjambant le Bosphore sont bloqués par l’armée. 23H à Ankara : les rebelles prennent d’assaut l’état-major, et séquestrent le chef des armées. 1H du matin : en direct via le réseau Facetime, la présentatrice de CNN-Turquie interroge Erdogan, qui, sur son téléphone portable, appelle la population à descendre dans la rue. « Je suis le commandant en chef ! », lance-t-il. Des dizaines de milliers de Turcs, drapeaux en main, répondent à son appel, et dans les rues d’Ankara, la foule prend le dessus sur les militaires rebelles. 4H30 du matin : échec du coup d’Etat. Les militaires putschistes sont littéralement balayés. 19H30 hier : une manifestation monstre dans les rues d’Istanbul. Une manifestation de soutien à Erdogan, lequel ne tarde pas à enclencher sa vengeance. Il appelle les Etats-Unis à extrader celui qu’il considère comme le fomenteur de l’opération : son ennemi historique, exilé aux USA, le prédicateur Fethullah Gülen. Mais celui-ci fait savoir qu’il n’est pour rien dans l’affaire.
Qu’importe : Erdogan entame alors une purge radicale dans l’armée. Des arrestations par centaines, de même que dans les hautes autorités judiciaires : 2.745 juges seront prochainement démis de leurs fonctions. Pour certains analystes, ce coup d’Etat avorté pourrait maintenant renforcer Erdogan : redorer son image dans le pays et dans le monde arabe. Mais d’autres, à l’inverse, estiment que son pouvoir sera vraisemblablement « affaibli », à l’instar de Dorothée Schmid, spécialiste de la Turquie, dans les colonnes du JDD. Sachant que ce qu’elle craint surtout, c’est que le président turc en profite pour durcir plus encore le régime : plus d’interdictions, davantage de mainmise sur les médias et les réseaux sociaux, répression accrue contre les opposants… « Après cette tentative de putsch, dit-elle, il n’y aura plus de contestation possible en Turquie, plus aucune, par personne. »
Autre conséquence à prévoir – c’est à lire dans LE PARISIEN : une nouvelle baisse du tourisme. Depuis plusieurs mois, les réservations étaient déjà en chute libre, de même que la fréquentation des différents sites touristiques. La faute à la multiplication des attentats.
D’ailleurs, certains s’inquiètent aussi pour le tourisme à Nice et sur l’ensemble de la Cote d’Azur : des croisières déroutées, annulations dans les hôtels, départs précipités… Selon LE FIGARO, la Riviera a déjà perdu des dizaines de milliers de visiteurs depuis l’attentat de jeudi soir sur la promenade des Anglais. Un attentat qui, bien sûr, continue de faire la Une des journaux ce dimanche.
« La vie... malgré tout » : c'est le titre à la Une de OUEST FRANCE, avec une photo de piétons se baladant sur la promenade des Anglais. Un ciel bleu, des palmiers, mais au sol, des bouquets de fleurs qui rappellent qu'un drame s'est produit deux jours plus tôt... « La vie plus forte que la peur », confirme LE PARISIEN DIMANCHE. Avec, là encore, une photo de la promenade des Anglais. Pleine vue sur la mer, la baie des Anges, un homme qui marche, un autre assis, une jeune femme à vélo. Cette fois, ce qui rappelle le drame, ce sont les drapeaux tricolores en berne... Après l'horreur, donc, peu à peu, la vie reprend son cours à Nice. C'est ce que décrivent les deux quotidiens. Des piétons sur le front de mer, et l’envie de rester debout, malgré la peur et malgré tout.
Dessin de Ranson dans LE PARISIEN DIMANCHE. C’est le dialogue d’un couple : que vont-ils faire de leur soirée ? C’est l’homme qui propose. « Veux-tu qu’on aille au stade ? Ou alors au concert ? Voir le feu d’artifice ? Ou bien on va se promener ? On va prendre un verre en terrasse ? » Et la femme de répondre, apparemment pas rassurée : « Essayons plutôt de nous changer les idées… »
Car, de fait, la mort, désormais, rode possiblement partout. Dans tous les lieux publics. Mais ce n’est pas, bien au contraire, une raison pour rester terrer chez soi et s’empêcher de vivre, estime le journal. « Vivre, c’est résister », écrit même dans son édito Jean-Marie Montali. Certes, dit-il, il nous faut apprendre à garder toujours en tête que la mort est à l’affut – une menace que nos dirigeants devraient prendre en compte en se montrant d’une « impitoyable fermeté envers tous les prêcheurs de haine qui racolent dans nos villes en s’appuyant sur l’ignorance et sur les frustrations ». Mais nous, poursuit-il, « nous continuerons de nous opposer à l’obscénité de DAECH en faisant ce que nous faisons de mieux » : c’est-à-dire « vivre » tout simplement… « En short ou minijupe, un verre à la main, au soleil d’une terrasse ou à l’ombre d’un parasol. Et avec cette extraordinaire conscience que la secte des égorgeurs terminera, un jour ou l’autre, comme le nazisme, dans les poubelles de l’Histoire… Le plus vite sera le mieux », conclue-t-il.
Confirmation du pédopsychiatre Aldo Naouri. Il estime qu’il ne faut « pas changer ses habitudes, car si on le fait, on donne une prime aux terroristes ». Et le médecin d’évoquer ses souvenirs personnels : « J’ai connu les bombardements et les fusillades de la seconde guerre mondiale. Ça reste, bien sûr, gravé dans ma mémoire, mais ça ne m’a pas empêché de vivre ! » Pour lui, la seule option qui se présente à nous aujourd’hui, c’est tout bonnement de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Ainsi que le font notamment les Israéliens, qui vivent depuis longtemps avec un risque d’attaque permanent. Ce parallèle, c’est un autre pédopsychiatre qui le fait – en l’occurrence, Stéphane Clerget, qui souligne que « Les Israéliens ont une vision de la vie à plus court terme et profitent de chaque journée comme si c’était la dernière. »
La correspondante du quotidien à Tel-Aviv raconte d’ailleurs de quelle manière la population s’organise. Dès l’âge de 3 ans, les enfants apprennent à se cacher sous la table ou à se diriger vers les abris en cas de tir de roquette : mais tout en s’amusant, en chantant, pour dédramatiser la situation. Quant aux adultes, ils savent qu’il y a des lieux où il faut éviter d’aller ou de rester trop longtemps. Et, bien souvent, la vie reprend son cours normal dans la demi-heure qui suit un attentat.
Apprendre à « vivre avec la peur » : c’est le titre à la Une de L’EST ECLAIR. Et c’est aussi ce que semble préconiser Manuel Valls dans LE JOURNAL DU DIMANCHE. Il prévient que « le terrorisme fait partie de notre quotidien pour longtemps », que cette menace est désormais une question centrale, mais que la réponse au groupe Etat Islamique ne doit pas être la « trumpisation des esprits ». Comprendre : la surenchère, surenchère démagogique et ultra-sécuritaire. Une réponse aux responsables de la droite qui, quelques heures à peine après le carnage de jeudi, ont mis en cause la responsabilité de l’exécutif – François Hollande, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve n’en feraient pas assez pour protéger la Nation contre les actes terroristes… Henri Guaino a ainsi regretté que les militaires de Nice n’aient pas eu de lance-roquette pour arrêter le poids-lourd, Frédéric Lefebvre a demandé l’état de siège et même Alain Juppé a estimé que « si tous les moyens avaient été pris », l’attentat de Nice « n’aurait pas eu lieu »…
« C’est à vomir », s’étrangle un proche de François Hollande. « C’est honteux, la droite nous chie dans les bottes », ajoute un autre, dans les colonnes du PARISIEN. Ainsi que le relève LE MONDE, « l’esprit du 11 janvier a vraiment fait long feu ». Sur SLATE.FR, Jean-Marie Colombani estime que ces réactions politiques tiennent même du « désastre national ». « Un grand moment de médiocrité politique », confirme Michel Urvoy dans OUEST FRANCE, tandis que sur son blog, Didier Pobel fait part de sa honte. « On peut reprocher des tonnes de choses à François Hollande et nul ne s’en prive. Mais de grâce, qu’on ne l’attaque pas pour d’avides fins électoralistes, dans le rôle qu’il assume, sinon le mieux, du moins le moins mal. Stop à cette danse macabre des petites phrases. Celles et ceux qui les profèrent sur les corps encore chauds des martyrs de Nice font honte à notre pays en deuil. Une fois honte. Deux fois honte. Trois fois honte. 84 fois honte. » 84, le nombre de morts provoquées par cet attentat.
84 morts, et plus de 120 personnes toujours hospitalisées, dont 30 enfants. « Douleur et incompréhension » des proches des victimes : c'est le titre à la Une de PRESSE OCEAN. Ils sont « inconsolables », abonde L'ARDENNAIS. « Accablés », confirme L'UNION, tandis que LE COURRIER DE L'OUEST évoque « des familles entre le deuil et l'attente » - l'attente, car l'identification des corps n'est pas encore finie. Loin d'être finies également : les questions suscitées par le profil du terroriste. LE MONDE indique que « ses motivations sont troubles ». Et il se serait « radicalisé très rapidement », note LIBERATION CHAMPAGNE. En tout cas, « Daech revendique l'horreur », comme l'indique à sa Une LA DEPECHE DU DIMANCHE. Dans un communiqué, le groupe Etat Islamique a qualifié hier de « soldat » le tueur de Nice. »
« La griffe de Daech, la blessure de la France », commente MIDI LIBRE, d'autres journaux s'interrogeant sur les mesures à prendre lors des prochaines manifestations festives. « Après la tuerie de Nice, quel visage auront les férias ? » se demande SUD OUEST. « Faut-il annuler la braderie de Lille ? » se demande LA VOIX DU NORD.
Et puis, çà et là, vous lirez de nouveaux portraits des victimes, comme celui de Fatima Charrihi, sous la plume de Louise Colcombet dans LE PARISIEN. Elle avait 62 ans et fut l’une des premières victimes de la tuerie. Elle incarnait le parcours d’une immigration réussie et ses sept enfants, aujourd’hui, s’en disent infiniment fiers. C’était une femme respectée, une femme exemplaire, musulmane pratiquante, elle ne prônait que la tolérance et disait souvent que les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans partageaient le même Dieu. Témoignage de l’une de ses filles : « Vous savez, tout le monde vous dira toujours que sa mère, c’était la meilleure. Mais moi, c’était vrai. »
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