(Patrick Cohen) Dans la presse ce matin : les sables mouvants
(Bruno Duvic) Il suffit de modifier la taille d'un caractère, le cadrage d'une photo, d'y ajouter un détail, pour faire de la couverture d'un journal un réquisitoire. A la Une de Libération ce matin, l'homme en photo est cadré de très près, de profil. Un mot sous l'image, qui est insérée dans un liseré noir, "Indigne" - les caractères mesurent sept centimètres de haut.
Voici donc un homme cerné, un homme isolé aussi. On tourne la page : "Cahuzac, l'exécutif sonné par le compte", c'est le titre de l'article principal de Libération , page 2. Et tout de suite à gauche l'éditorial, sans doute le plus sévère que l'on puisse lire ce matin dans les quotidiens.
"C'est plus qu'une honte, écrit Eric Decouty, c'est une ignominie. Avec ses dissimulations, ses mensonges, Jérôme Cahuzac a fait bien plus que salir son honneur. Il a discrédité la parole politique et soulevé des doutes quant à l'autorité du chef de l'Etat (...)
Suit une leçon au nom des valeurs de gauche : "Qu'il ait choisi, lui, figure socialiste, d'ouvrir un compte en Suisse relève déjà d'une moralité politique et personnelle douteuse (…) Mais Jérôme Cahuzac ne s'est pas contenté de cette faute originelle. Ses mensonges donnent un crédit mortel à l'extrême droite (...) Il a sans doute donné un coup fatal à la République irréprochable que promettait François Hollande."
Dérive individuelle… Quelques pages plus loin, Libé dresse en revanche un éloge de François Hollande en « réformiste, mine de rien ».
Il serait facile ce matin en résumant la presse d’enquiller les titres et les formules, et de se livrer à cette curée que redoute Jean-Claude Souléry dans La Dépêche du Midi . Les journaux jugent les faits accablants, ils sont donc sur ce mode à la Une et en éditorial. Beaucoup d’édito son construits de la même manière : petit 1 : le scandale du mensonge ; petit 2 : le discrédit jeté sur la parole publique ; petit 3 : le cadeau fait aux extrêmes
Derrière cette dénonciation générale, les lignes éditoriales des journaux apparaissent nettement.
La Une du Figaro est charitable, comparée à celle de Libération : "Cahuzac : 'Je demande pardon'". Mais si Libé nous montrait un homme isolé, c'est à la gauche en général que s'adresse Paul-Henri du Limbert : "Un ministre de la République a menti, il est socialiste. Et son mensonge porte sur l'argent. Peut-on imaginer pire ? Non. Et la gauche le sait bien. Car à quoi pensent ce matin les Français sinon aux éloquents cours de morale professés par la gauche ces dernières années ?"
Et plus loin : "François Hollande devrait se méfier pour lui-même des effets dévastateurs de l'affaire Cahuzac. Car enfin, une proportion notable de Français juge déjà qu'il a pris des libertés avec la vérité lors de sa campagne"
Dans la petite histoire des mensonges et omissions en politique, Le Parisien-Aujourd’hui en France cite la feuille d'impôt de Chaban, les diamants de Bokassa sous Giscard, les bulletins de santé de Mitterrand et le passé trotskyste de Jospin.
Un homme seul dans sa dérive dans Libération , la gauche menteuse dans Le Figaro . Et l'argent qui corrompt dans L'Humanité . Deux citations dans l'éditorial de Patrick Appel-Muller. Mitterrand au Congrès d'Epinay en 1971 : « L'argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, l’argent qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes. » Et Jean Jaurès : « Ne vous guindez pas trop sur des échasses de vertu. L'équilibre est instable et les chutes douloureuses. »
Sur Mediapart , c'est à l'encre sympathique d'une démocratie et d'une république exemplaires qu'Antoine Perraud rédige son analyse. « Mentir au parlement est une forfaiture. Ce qu'a commis Jérôme Cahuzac relève du blasphème laïque et républicain. C'est la négation du principe de responsabilité, gage de la démocratie ».
Restent les cathos de gauche... Dans La Vie , éditorial de Jean-Pierre Denis, qui commence par cette image d' « un homme qui s'humilie et demande pardon (…) Il devient enfin lui même, comme libéré de son propre poids. Pour un peu, on a envie de le consoler plus que de le blâmer. » On relèvera que le quotidien La Croix fait un traitement minimal de cette affaire. Pas d'appel de Une et un petit article page 8.
Et maintenant ?
D'abord l'enquête continue et Mediapart maintient les questions qui fâchent. Date d'ouverture du compte ? Un ou plusieurs comptes ? D'où vient l'argent ? Et l'Elysée et Matignon étaient-ils au courant du mensonge ? Le site reprend l'information du Canard enchainé la semaine dernière selon laquelle le ministère de l'Intérieur a transmis une note à l'Elysée dès Noël établissant l'authenticité de l'enregistrement sonore publié par Mediapart à l'origine de l'affaire. L'Elysée conteste cette information.
Cette histoire c'est aussi le triomphe de ce site, Mediapart , qui a battu à plates couture Le Canard enchainé sur le terrain des révélations. Le Canard qui a tout de même donné le dernier coup de bec. L'édition en kiosques aujourd'hui détaille les aveux de l'ex ministre. L’hebdomadaire avait cette information avant que le ministre se confie publiquement.
Et à la Une du Canard , un texte de Louis-Marie Horeau, de bonne ou de mauvaise foi, explique pourquoi l'hebdomadaire n'a pas été plus en pointe dans cette affaire. En résumé, les éléments de Mediapart ne lui semblaient pas suffisants.
Et maintenant ? Sur Rue89 , Pascal Riché tire 3 leçons de cette histoire :
- la nécessité d'un sursaut démocratique ; dans d'autres pays, chaque nomination à un poste de très haut niveau fait l'objet d'une enquête approfondie
- le rôle de la presse est capital ; une nouvelle loi sur la protection des sources pourrait être utile
- et les juges doivent enquêter sans merci ; les enquêtes sur les affaires offrent un spectacle pénible mais elles servent la démocratie.
Quoi d'autre dans la presse ?
Les sables mouvants… Voici peut-être la nouvelle affaire dans le domaine de la santé. C'est la Une de L'Express . Bonnes feuilles du livre d'un médecin généraliste de Paris qui sème le doute sur les médicaments génériques. Non, selon lui, ce n'est pas la même chose que les médicaments d'origine. Parmi ses arguments : le manque de contrôle sur la qualité des matières premières qui servent à fabriquer ces médicaments, le plus souvent, en Inde, en Chine ou au Brésil.
C'était « Plus qu'un match ! » Voilà comment L'Equipe résume le PSG/Barça d'hier soir. 2 partout. Reste un petit espoir, « fol espoir » écrit L'Equipe d'une qualification.
Après tout cela, envie d'un peu de douceur... On a beaucoup parlé sur France Inter du documentaire de Nicolas Philibert consacré à maison de la radio, aujourd'hui au cinéma. Le Monde adore : le film et la maison de la radio, cœur de Radio France.
Voici ce qu’écrit Jacques Mandelbaum : « Le tiède confinement, la suave harmonie, la caresse sonore font de cette maison de la radio sublimée par Philibert un espace où l'on a envie de se lover, sorte de bon sein maternel qui retient, parmi les nourritures de l'esprit, les plus propices au bien être de ses auditeurs. »
A demain !
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