Les mots de l’écologie

Les mots de l'écologie
Les mots de l'écologie ©Getty - amtitus
Les mots de l'écologie ©Getty - amtitus
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En tant qu’éditeur, mais aussi en tant que philosophe, Baptiste Lanaspeze s’intéresse aux mots-clés de l’écologie qui occupent le terrain de la scène intellectuelle ces dernières années.

Avec
  • Baptiste Lanaspeze fondateur des éditions Wildproject

A Marseille, Baptiste Lanaspeze lance en 2009 les éditions Wildproject afin d’«importer et d’acclimater en France les pensées de l’écologie». Comment réorganiser les sociétés humaines dans leurs relations au vivant, pour mettre un terme à l’extinction en cours de la vie sur Terre ?

Depuis un demi-siècle environ, les humanités écologiques recomposent les relations entre nature et culture, homme et animal, éthique et biologie, connaissance et imagination…

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Baptiste Lanaspeze s’intéresse aux notions qui se succèdent sur le devant de la scène intellectuelle ces dernières années.

Effondrement, Anthropocène, Biodiversité, Vivant, jusqu’au concept même de Nature : comment ces différentes notions ont-elles été construites, travaillées par nos contemporains ? Quelles sont les idées philosophiques et politiques sous-jacentes qu’elles véhiculent ?

Après une décennie consacrée à traduire et à diffuser les pensées de l’écologie, Wildproject contribue désormais à la mise en œuvre des sociétés écologiques de demain.

Extraits de l'entretien

« Anthropocène »

L’anthropocène est le moment où l'homme, après s'être battu contre la nature pour survivre, prend le contrôle de l'environnement de la planète… Baptiste Lanaspeze, fondateur des éditions Wildproject, conteste ce vocabulaire qu’il qualifie de « fable à succès » : « C’est une notion qui émerge vers 2015. Elle est poussée entre autres par les éditions du Seuil. Ce mot devient un hashtag de ralliement. Or, pour moi, c'est une notion avec laquelle j'ai immédiatement de gros problèmes. L'intuition est juste de dire que ce qu'on vit actuellement est une crise écologique. C'est une extinction de masse. Et les extinctions de masse, vu que nous sommes sur une terre vivante, ont des conséquences à l'échelle des temps géologiques. Depuis 66 millions d'années, nous sommes dans le Cénozoïque. Entre chaque ère, il y a eu une extinction de masse. Donc, si nous vivons une extinction de masse aujourd'hui, il est possible, et probable, que nous soyons au seuil d'une nouvelle période géologique.

Mais l'unité de temps des périodes géologiques, c'est le million d'années. Donc annoncer vouloir nommer dès maintenant une future période géologique, ce n'est plus de la science, mais de la science-fiction ! Et si on dit que cette future ère géologique a déjà un nom, l'anthropocène, c’est la placer sous le signe d'anthropos. Cela veut dire qu'on a le projet de gérer la planète par notre technique pour les millions d'années qui viennent. C'est complètement délirant ! Il y a eu un malentendu immense. Cette notion vient des sciences de la terre, et de gens qui prônent la géo ingénierie, tout en se disant écologistes, mais qui sont plutôt dans la géo -ingénierie. Elle a été reprise par les gens des sciences qui ont vu un moyen d'accéder à l'écologie. Mais les écologistes, et les personnes vraiment issues de l'écologie politique sont assez médusés par cette notion-là.

« Effondrement », « le vivant », les nouveaux mots de l’écologie

Baptiste Lanaspeze : A « anthropocène » , mieux vaut privilégier le mot « effondrement » qui a connu un véritable succès viral. Il a l'avantage de bien décrire cette période d'extinction de masse. Ensuite, depuis deux ou trois ans, on assiste à la prolifération du mot « Le vivant ». Mais là, ce n’est pas grave. On est dans une sorte d'immense workshop. Il se passe la même chose dans le domaine du féminisme et dans le domaine des questions post-coloniales. On est dans un moment de travail de la société. Je suis né en 1977, et je n’ai jamais connu ça. Des dynamiques militantes et intellectuelles poreuses qui se croisent, et elles sont fascinantes. Nous vivons un moment très vivant. »

« Gaïa », « extinction »… : Des mots qui devraient être plus viraux

Baptiste Lanaspeze : « J’ai mis « Gaïa » dans ma liste des mots qui devraient être viraux et qui ne le sont pas. Ce mot était viral dans les années 1970-1980 dans le monde new age. C’est un mot structurant d’un point de vue philosophique et scientifique aussi. Il a donné naissance à ce qu'on appelle les sciences du système terre qui vont devenir quelque chose d'absolument colossal. Peut-être que ce mot n’a pas plus pris le dessus sur le vocable écologiste parce qu’avant Bruno Latour, elle n’avait pas de légitimité académique.

Je pense que Gaïa est l’une des choses les plus importantes qui soient passées au XXᵉ siècle en écologie politique. C’est central. Lynn Margulis a montré comment notre corps, le corps de tous les êtres vivants, récapitule l'histoire de Gaïa à travers la forme même de nos cellules qui comportent des bactéries anaérobies qui datent de la période d'avant l'oxygénation de la Terre. Tout notre corps et notre fonctionnement récapitulent ces 4 milliards d'années sur Terre. Donc, il y a aussi une anthropologie gaïaenne dans la façon dont on perçoit notre propre être, notre propre corps, qui est très belle chez Lyne Margulis, dont on a publié le livre Microcosmos. Le mot « extinction » devrait aussi être plus mis en avant. »

Réhabiliter le mot « nature »

Baptiste Lanaspeze : « Il y a une controverse au sein des penseurs de l'écologie pour ou contre l’usage du mot nature. C'est un mot qui me tient à cœur depuis le début. Pour moi, la destruction moderne de l'idée de nature a été un préalable à la destruction du monde autour de nous. Il a fallu d'abord détruire l'idée de la nature comme une totalité organique dans laquelle on est prise pour mieux pouvoir la détruire. Il a fallu la dégrader et la présenter comme moins noble que la culture. C’est la même logique que la logique patriarcale, pour les femmes et la logique coloniale, vis-à-vis des indigènes. […] Ce mot me permet de tisser ensemble les trois fils de ce qui se passe aujourd'hui dans les sociétés européennes. Ce fil de dynamisme féministe, colonial et écologique à la fois. Cette notion permet de dire que l’on a besoin à la fois de désarmer le patriarcat, de décoloniser le monde et d'arrêter de détruire la vie sur terre… Cela paraît intimidant. Chacun des trois paraît impossible, mais si on fait les trois à la fois, là, c'est un projet de société écologique. C'est autour de ce vieux mot, le plus ancien de tous, qui nous vient des Grecs, et des Latins, que j'arrive à essayer d'articuler tout ça. »

Référénces / Biblio

Nature de Baptiste Lanaspèze éditions Anamosa
Tout le catalogue des éditions Wild Project

Pour en savoir plus, écoutez l'émission...

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