

Depuis le début des années 1980, les sols artificialisés ont progressé entre trois à quatre fois plus vite que la population. Comment lutter contre l’artificialisation des sols et comment mettre fin à l’étalement urbain ?
Pour explorer les multiples enjeux questionnés par les acteurs de la fabrique de la ville dans le cadre du dérèglement climatique et des limites planétaires, les co-auteur.rices de « La ville stationnaire » ont proposé plusieurs entrées, allant des constructions bio-sourcées, aux ZAN (Zone d'artificialisation nette), en passant par les smart cities. Les villes actuelles sont à l’instar de nos modes de vie, sur-consommatrices, en l’occurrence d’espaces. Cette croissance continue venant grignoter les terres n’est pas soutenable. Après avoir fait un point sur les chiffres de l’étalement urbain, quels sont les leviers politiques et urbains pour freiner et au même stopper l’étalement urbain ? Parmi les pistes envisagées, faire avec le « déjà-là », faire de la « ville sur la ville », autrement dit utiliser les logements vacants, le patrimoine immobilier pour éviter de construire du neuf et encourager la répartition de la population sur le territoire, afin d’éviter les congestions et problématiques connues dans les métropoles.
Dans toutes les entrées que proposent ce livre, des mises au point et des définitions essentielles à la compréhension du sujet sont abordées. Tels que la définition de l’étalement urbain, les fausses promesses des smart cities, la densification, les limites des ZAN, les chiffres de l’artificialisation des sols…
Qu'est ce que "la ville stationnaire" ?
Le terme "stationnaire" est inspiré de la pensée de l'économiste John Stuart Mill. La ville stationnaire n’est plus en croissance, il n’y a plus d’étalement urbain et de sols grignotés explique Philippe Bihouix. Elle continue néanmoins de se réparer, de se densifier sans le faire au détriment des autres territoires, avec un travail d’adaptation aux enjeux climatiques, de la gestion de l’eau, des ilots urbains…
Comment définir l'étalement urbain ?
“Une extension urbaine qui se fait plus rapide que la croissance démographique : la surface consommée par habitant s’accroît, découplant croissance démographique et artificialisation du sol ”
Chaque année en France, l'artificialisation des sols fait disparaître entre 20 000 et 30 000 hectares de terres. Et même si le rythme a ralenti, il équivaut malgré tout à un petit département artificialisé tous les dix ans dans notre pays. Une production qui n'est pas soutenable sur le long terme. Mais depuis une dizaine d'années, on assiste à une montée en puissance de cette question de l'étalement urbain, avec une prise de conscience qui a permis, entre autres, d'intégrer un objectif de zéro artificialisation nette pour 2050 dans la loi climat et résilience. Mais qu'est-ce qui se cache derrière cet objectif ? Est-il suffisamment ambitieux pour faire face aux enjeux de durabilité de l'aménagement du territoire ?
Les origines de la ville stationnaire
Le concept de ville stationnaire, on le doit à John Stuart Mill, un économiste anglais du XIXᵉ siècle et également philosophe aux idées très modernes pour l'époque : il était pour le droit de vote des femmes et pour le suffrage universel. C'est un des rares économistes qui considérait que l'arrêt de la croissance, était un état désirable et que passer un certain niveau de richesse, nous n'avions plus besoin de continuer à croître économiquement et démographiquement, et que l'on pourrait développer le progrès humain que ce soit dans la culture, les arts ou les sciences. Un concept que l'on peut également transposer à la ville, qui se positionne en état stationnaire d'un point de vue économique.
Renouveler la ville en l'optimisant
L'idée de la ville stationnaire, c'est de renouveler la ville tout en continuant à accueillir la population, sans aller consommer le sol naturel. Depuis les années 70, nous avons perdu 50 % des surfaces agricoles et nous consommons entre 20 à 30 000 hectares de sol naturel chaque année en France. Pour Sophie Jeantet : « L'idée, c'est d'utiliser d'autres gisements dans tous les mètres carrés où l'on a déjà construits, pour optimiser ces surfaces. Utiliser ces espaces qui sont sous-occupés en termes de gisements pour permettre à la ville de croître et de se développer. »
Compenser par des puits naturels
L'ingénieur Philippe Bihouix le rappelle dans cette émission, l'idée est de réduire considérablement les émissions de CO2 d'ici 2050 et ensuite de compenser par des puits naturels, comme les forêts : « Il faut compenser les émissions résiduelles de l'humanité pour atteindre la neutralité carbone à l'échelle de la planète. La différence avec la zéro artificialisation pour les sols, c'est que les puits de carbone naturels, en particulier les océans, fonctionnent sur un temps très long, des millions d'années. Il faut donc renaturaliser, ce qui est l'inverse de l'artificialisation. Une fois qu'on aura récupéré quelques carrières, quelques friches industrielles, il faudra artificialiser, mais avec émissions à zéro carbone. »
Comment arrêter de croître tout en construisant ?
Pour Philippe Bihouix, il y a des alternatives à l'évolution de nos villes : « On pourrait utiliser par exemple tout ce qui est vacant ou sous occupés. Il y a à peu près 3 millions de logements vacants en France, dont 1 million depuis plus de deux ans. Il faut savoir qu'aujourd'hui en France, on construit 350 000 logements par an. Quand on les remplit, on en vide 50 000. Quand on a un habitant de plus en France, on a besoin de mettre deux logements en chantier. On a des ménages qui sont de plus en plus petits pour des questions de vieillissement et d'évolution socio-démographiques diverses et variées. » Pour Sophie Jeantet : « Il y a une mauvaise répartition des populations là où se trouvent les logements liés à une forte attractivité des métropoles depuis un certain nombre d'années et du littoral qui concentre les populations et provoque des zones de tension en matière de logement et d'accessibilité. »
Le problème de l'implantation des data centers et des plateformes de logistique
Avec ces 20 000 à 30 000 hectares de terres artificialisés chaque année en France, qu'est ce qui occupe le plus de place ? Selon Sophie Jeantet, le logement occupe 42 % et les transports, la voirie, 28 % et 30 % est lié à l'activité et au commerce : « Pour le commerce, ce sont souvent des implantations qui prennent beaucoup de place et que l'on n'arrive pas à trouver en milieu dense comme dans les centres-villes. Donc on va venir implanter ces activités en périphérie et donc en extension. Et aujourd'hui, il y a également la question des plateformes logistiques, des data centers qui cherchent à s'implanter près des villes et qui sont source d'artificialisation. »
On en parle avec :
- Philippe Bihouix, ingénieur, a travaillé dans la construction et travaille aujourd’hui dans une agence d’architecture et d’ingénierie, AREP (Architecture Recherche Engagement Post-carbone - filiale de la SNCF) et auteur notamment de "L'Âge des low-tech", "Le bonheur était pour demain" et "Quel futur pour les métaux ?"
- Sophie Jeantet, architecte-urbaniste de formation. Elle travaille depuis plus de 20 ans dans des sociétés d’aménagement publiques ou les collectivités.
- Clémence de Selva, architecte, elle travaille en agence et répond à la commande des collectivités publiques.
Co-auteur.ices de « La ville stationnaire - Comment mettre fin à l’étalement urbain ? » Coll Domaine des possibles chez Actes Sud. Un livre autour de la question de la ville durable.
🎧 Pour en savoir plus, écoutez l'émission...
Programmation musicale
- 14h20
Shlut - 14h53
Elle Panique Olivia RuizElle PaniqueO.Ruiz, M.Malzieu
Album Elle panique (2009)Label POLYDOR
L'équipe
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