

Vinciane Despret rejoint Mathieu Vidard pour une semaine spéciale, consacrée aux animaux et à leur manière d’habiter le monde. Aujourd'hui l'émission se glisse dans le corps d'une abeille pour en explorer la biologie, les comportements et l'intelligence.
Comme nous, les abeilles ont des organes pour voir, sentir et toucher, et comme nous, elles ont un cerveau. Mais, à la différence du nôtre, il est minuscule. Vous êtes-vous déjà demandé ce qu'il se passait dans leur tête ?
Les abeilles ont un système sensoriel très diffèrent du notre. Elles ont la capacité d’utiliser la lumière polarisée pour faire les longs trajets, et sont également dotées de deux antennes mobiles, sensibles à une grande diversité d’odeurs qui leur permettent de localiser les fleurs avec précision...
Comment les abeilles perçoivent-elles le monde ? Ont-elles une conscience ? Des émotions ?
Des expériences ont montré que les abeilles apprenaient à utiliser le chemin le plus court pour visiter les cinq fleurs, et qu'elles seraient même capables d'apprendre les mathématiques !
Extraits de l'entretien
Les abeilles : combien de divisions ?
Mathieu Lihoreau, directeur de recherches CNRS au Centre de recherches, explique sur la cognition animale : « Le mot abeille en français accapare souvent l'attention et on se focalise sur l'abeille domestique, qu'on appelle également abeille mellifère ou Apis mellifera. Celle-ci fait du miel. On l’a domestiquée pour ça.
Mais le monde des abeilles est un monde beaucoup plus vaste. On compte à peu près 20 000 espèces, mais on n'en est pas complètement sûr, dans le monde, dont à peu près 1000 espèces en France. Dans une ville comme Paris, des collègues parisiens ont fait l’inventaire. Ils estiment qu'il y a plusieurs centaines d'espèces d'abeilles à Paris. »
Les abeilles, ces feignasses
Contrairement à une idée reçue, les abeilles ne font pas que bosser ! Dans une ruche, explique la chercheuse en éthologie cognitive Aurore Avargues-Weber : « Il y a toujours 20 à 30 % des abeilles qui ne font rien. Donc l’image de l'abeille besogneuse, et altruiste est vraie, mais elles vont toujours travailler en cas de besoin. Et il y a probablement des individus qui paresseront parce qu’il y a aussi des personnalités chez les insectes sociaux comme chez tous les animaux.»
Les abeilles savent compter !
Aurore Avargues-Weber raconte une expérience : « Grâce à notre protocole (deux couloirs avec au fond des images, si elles ont la bonne réponse, elles reçoivent du sucre, sinon de la quinine) que nous avions bien pensé en amont, on a pu montrer qu'effectivement les abeilles étaient capables de compter, de reconnaître un nombre d'objets et jusqu'à cinq. »
Elles peuvent changer de crémerie
Mathieu Lihoreau : « C'est très mal connu, mais il existe chez les abeilles domestiques, un système de reconnaissance coloniale basé sur les odeurs. Donc toutes les abeilles d'une même colonie ont grosso modo la même odeur. Mais il arrive que des abeilles d'autres colonies rentrent dans la ruche, et elles sont acceptées. Donc le système est imparfait. On constate ce phénomène, surtout en cas de grosse densité de ruches les unes à côté des autres. On ne sait pas si c'est une stratégie de la part des abeilles pour parasiter d’autres colonies, ou si c'est simplement des abeilles perdues qui se trompent de ruches. »
Les abeilles se reconnaissent à l’odeur
Mathieu Lihoreau : « Les abeilles sont très olfactives et utilisent beaucoup d'odeurs pour communiquer. Mais elles ont une odeur de base : les lipides qui recouvrent le corps des insectes qui protègent les insectes contre les parasites, et les infections. Ces lipides ont une odeur. On les appelle les hydrocarbures cuticulaires. Dans la ruche, les abeilles se frottent les unes les autres, et se frottent à la cire qui constitue le nid. De cela, va émerger une odeur commune et toutes les abeilles vont porter cette odeur reconnaissable. »
La danse en 8 : une marche et pas un vol
Pour Mathieu Lihoreau, « Effectivement, les abeilles dansent en huit. Elles dansent sur la surface verticale des rayons du nid. C'est un mouvement qui correspond à leur marche. En fait, elles dansent en marchant. Donc ce n'est pas un vol en huit puisque cela se passe dans le nid. On ne sait pas exactement comment volent les abeilles à l'extérieur du nid. Moi, je fais des expériences où j'essaie de suivre leur vol avec des systèmes radars, mais on n’a jamais vu de huit se dessiner.
Cette marche en huit indique tout simplement les coordonnées spatiales d’où se trouvent les bonnes fleurs. Lorsqu'une butineuse a trouvé une source de nourriture abondante dans l'environnement, elle revient à sa ruche. Elle fait cette danse qui indique la distance de la source de nourriture par rapport à la ruche, l'angle de la source de nourriture par rapport à la position de la ruche, du soleil et la quantité de nourriture ! »
Aurore Avargues-Weber confirme que c’est incroyable. Et explique : « Les abeilles utilisent le flux optique (Le nombre de fois que la lumière apparaît entre deux obstacles sur une distance donnée). Mais on ne sait toujours pas comment cela se passe dans leur cerveau. »
Elles peuvent être… solitaires
Nous sommes déformés par l’image de la ruche, mais selon Mathieu Lihoreau : « La très grande majorité des abeilles sont solitaires ! »
Elles voient… flou
Aurore Avargues-Weber : « Les abeilles ont des yeux composés comme ceux des mouches, ou de n'importe quel insecte : avec de petites facettes. L’avantage est qu’elles détectent des mouvements très fins, et ce, de façon plus rapides que nous.
Mais elles voient la lumière forte de manière stroboscopique, car elle est en alternance. Et elles n’ont pas une très bonne acuité : elles ont à peu près 1/10e de vision. Et elles voient flou par rapport à nous. Elles perçoivent les couleurs bien sûr, mais pas les mêmes que nous. Leur spectre est décalé dans les UV. Elles ne voient pas, par exemple pas, les couleurs rouges. Mais elles voient les ultra-violets que nous ne voyons pas. »
Plus fragiles… à cause de nous !
Aurore Avargues-Weber explique qu’« On a sélectionné des abeilles dociles, et très productrices de miel. Mais le revers de la médaille est qu’elles sont moins agressives et se défendent moins bien contre les parasites, etc. »
L’enfumage : pour ou contre ?
Mathieu Lihoreau dit « Qu’il faut se protéger par l’enfumage et la tenue. Notamment en cas d’allergie aux piqûres. Quand je les étudie souvent, je les entraîne à aller butiner sur des fleurs artificielles. Et quand elles butinent, elles ne piquent pas. »
Les invités
- Mathieu Lihoreau, directeur de recherches CNRS au Centre de recherches sur la cognition animale à Toulouse
- Aurore Avargues-Weber, chercheuse en éthologie cognitive, s’intéressent tous les deux aux capacités cognitives fascinantes de ces créatures miniatures.
Référence: À quoi pensent les abeilles ? de Mathieu LIhoreau, Editions Humensciences
Programmation musicale
- 14h38
Sunset
L'équipe
- Production
- Production
- Réalisation
- Collaboration
- Collaboration