La mécanique des foules

La foule est un objet de science. La foule est une créature étrange qui vit dans les transports en commun, dans les galeries commerciales, les stades de foot ou les festivals de musique. Vous la croisez souvent et vous en faites parfois partie. L'étude de la foule relève de plusieurs disciplines : mathématiques, physique, psychologie, sociologie...

Mais qu'est-ce que la foule exactement ? La Cité des sciences et de l'industrie propose une nouvelle exposition autour de la foule et des mouvements de masse. Et c'est passionnant ! L'on peut y observer la foule, être manipulée par elle ou participer à son existence. La foule a souvent mauvaise réputation, mais elle peut être aussi joyeuse et intelligente. C'est ce que nous allons voir avec nos invités.

Dans les contextes de crise

Dans certains contextes de crise, comme ce qui s'est passé en 2001 durant les attentats sur les tours du World Trade Center, et durant les attentats au Bataclan le 13 novembre 2015, la foule aurait pu agir dans l'empressement, chacun pour soi, mais ce n'est pas ce qu'il s'est produit. Les gens présents se sont plutôt déplacés dans le calme.

Coralie Chevallier, chercheuse en sciences cognitives, explique : "Ce qui est remarquable dans ces événements-là, c'est qu'on constate que, contrairement à une idée reçue qui est que pendant les mouvements de foule, nécessairement, il va y avoir des accidents très graves où les gens vont se piétiner, on observe au contraire, dans un certain nombre de contextes de crise comme ceux-là, une grande solidarité. Et ça, ça reflète le fait que l'espèce humaine est une espèce hautement coopérative. Finalement, l'entraide et l'altruisme sont des fondements qu'on retrouve, y compris dans des situations très difficiles."

Apprendre avec les animaux

L'étude de la foule se fait aussi en étudiant les comportements des animaux, et l'on remarque une certaine intelligence collective, pour se défendre individuellement. Coralie Chevallier explique le fonctionnement de certaines espèces :

"Si on regarde la façon dont les foules d'animaux s'organisent, on constate qu'il y a aussi une sorte d'objectif social qui est parfois accompli par les animaux. Par exemple, les étourneaux peuvent se mettre dans des configurations qui donnent l'impression que c'est un énorme oiseau unique, en train de se déplacer. C'est une façon d'effrayer des prédateurs potentiels. Et les silures anguilles font un peu la même chose. Au lieu de se déplacer individuellement, elles se mettent en groupe, empilées au fond de la mer, et elles se déplacent comme si elles étaient un énorme individu. Et ça fait peur aux prédateurs."

L'intelligence collective chez les humains

La foule, c'est une somme de cerveaux qui sont capables de faire des prouesses ensemble, à savoir l'intelligence collective. Cela vient complètement en contradiction avec ce que l'anthropologue Gustave Le Bon pensait au XIXᵉ siècle parce qu'il imaginait vraiment la foule comme étant une entité plutôt idiote. Pendant longtemps on s'est aussi plus intéressés au côté obscur des foules. Depuis peu, l'on se penche sur l'intelligence collective, et c'est venu notamment par l'étude du comportement de certains animaux.

Mehdi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives, explique : "Cette idée d'intelligence collective, elle nous vient des animaux sociaux, de l'étude en particulier des insectes sociaux, donc les fourmis, les abeilles qui sont vraiment les reines de l'intelligence collective. Dans les années 1980, on a commencé à comprendre comment se structurait une colonie de fourmis, par exemple. Et c'est au début des années 2000 que les différentes disciplines ont fusionné et qu'on s'est dit que les foules humaines, en fait, avaient peut-être les mêmes mécanismes en jeu. Et ça donnait un peu le top départ de cette idée d'intelligence collective chez les humains. Depuis les années 2000, c'est un objet qui est devenu très prometteur."

🎧 La suite est à écouter...

Les invités

Avec Mehdi Moussaïd, chercheur en sciences cognitives au Max-Plant Institute for human Development à Berlin et commissaire de l’exposition Foules. Il anime fouloscopie.com, un laboratoire virtuel qui compte plus de 150 000 inscrits, ainsi qu’une chaîne YouTube de vulgarisation. Chacune de ses vidéos totalise plus de 300 000 vues. Dans le cadre de ses recherches, Il sollicite régulièrement ses abonnés pour participer à des expériences. En 2019, il a publié chez HumenSciences « Fouloscopie, ce que la foule dit de nous ».

Coralie Chevallier, chercheuse en sciences cognitives à l’Ecole normale supérieure ENS-PSL. Elle a publié en 2022, Homo sapiens dans la cité. Comment adapter l’action publique à la psychologie humaine, chez Odile Jacob.

Juliette Venel, enseignante-chercheuse en Mathématiques au laboratoire CERAMATHS qui dépend de L'Université Polytechnique Hauts-de-France. Elle a rédigé la thèse suivante Modélisation mathématique et numérique de mouvements de foule