

Le reportage Grand Format de Giv Anquetil au sud de la Floride qui se prépare à la montée des eaux : quand le changement climatique devient une affaire de gros sous.
Plus personne en Floride n’ose nier que la mer monte, et va continuer à monter. Jusqu’à 86 cm d’ici 2060 d’après les estimations les plus sombres : les inondations toucheront alors plus de la moitié de la population de Miami. Miami Beach a même été rebaptisée "Ground Zero du changement climatique" aux Etats-Unis. Et certains se sont amusés à relever que le club privé de Mr Trump à Mar-a-Lago devrait (en 2050) être noyé sous 30cm d’eau, 210 jours par an. Et les perspectives sont pire encore plus au Sud, pour les 1700 îles et ilots de l’archipel des Keys, qui risquent d’avoir complètement disparu sous les flots d’ici la fin du siècle.

Alors au Summerland Key, le Professeur David Vaughan essaye d’enrayer la catastrophe annoncée. Avec sa barbe blanche un peu hirsute, ce spécialiste de la culture des coraux au Mote Marine Laboratory aujourd’hui à la retraite, s’active pour en replanter un million, grâce à sa méthode révolutionnaire de “micro-fragmentation”. Car ici comme ailleurs, les coraux souffrent les premiers du changement climatique : l’an dernier les chercheurs de l’université de Miami ont relevé un nouvel épisode de blanchissement massif des coraux de la région. C’est le huitième de ce genre depuis 1987. Au point que certaines variétés ont diminué de 90%. Et si les coraux disparaissent, les îles disparaitront aussi.
S’adapter est donc devenu un maître mot en Floride, où l’Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (la NOAA) estime qu’il y aura dix fois plus d’inondations en 2050 qu'aujourd'hui, avec des événements majeurs cinq fois plus fréquents. Alors ce sont des torrents de dollars qui sont consacrés à ce chantier : juste avant Noël, Joe Biden a signé un programme “de résilience des infrastructures à l'élévation du niveau de la mer et aux tempêtes” pour un montant de 2,6 milliards de dollars. Pour des digues, des pompes et des surélévations de routes et de bâtiments. Bref plutôt qu’agir sur les causes (en réduisant massivement les émissions de gaz à effet de serre), dépenser sans compter pour en atténuer les conséquences.
Roman Gastesi, l’Administrateur du Monroe County - qui recouvre l’archipel des Keys, et qui va dépenser 1,6 milliards dans les prochaines années pour surélever les infrastructures publiques, le confirme sans fausse pudeur : “Nous ne sommes pas inquiets pour l’avenir : nous avons un plan et beaucoup d'argent va être dépensé pour le réaliser”. Et c’est toute une floppée de nouveaux métiers d’adaptation à la montée inexorable des eaux qui apparaissent. À commencer par les postes de "Responsable résilience” très en vogue dans les organigrammes floridiens, mais c’est surtout un boulevard pour les professionnels de la catastrophe climatique.

Comme Garrett Tillman de la société Ducky Johnson, qui vient de surélever la villa de Peter à Key West pour un montant de 175 000 dollars. “C’est le prix à payer pour vivre au paradis” ajoute ce dernier qui n’a qu’un regret : “depuis les travaux, les prévisions d’élévation du niveau de la mer ont été revues à la hausse, et nous sommes toujours en zone inondable” !
Dans cet Etat américain le plus vulnérable aux inondations, la catastrophe climatique est donc en train de redessiner les cartes, celles des paysages mais aussi celle des populations. Car quand la mer monte en Floride, sur terre, les prix flambent. Exemple dans le quartier de Little Haïti à Miami. C'était le refuge de l’immigration haïtienne fuyant la dictature de Duvalier dans les années 80. Et bien l’identité de ce quartier est en train de disparaître. Pas sous les flots mais plutôt sous les dollars. On y a même trouvé un concept pour décrire les transformations en cours : “climate gentrification”, la gentrification climatique. Ou comment des riches veulent se mettre au sec en chassant les habitants de ce quartier, pauvre certes, mais suffisamment haut (2m60 en moyenne) pour les mettre à l’abri de la montée des eaux.

La source de toute une série de mobilisations des habitants est le méga projet immobilier " Magic City Innovation District”, approuvé par le Comté de Miami-Dade en 2019. C'est un programme de “ville dans la ville” de deux milliards et demi de dollars, sur 7 ha et avec des tours de 27 étages. Inaccessible aux habitants du coin, mais qui attise une intense spéculation. Et autant dans les Keys on parlait volontiers de “Résilience” face au changement climatique ici, les promoteurs aiment parler de “Revitalisation” de ce quartier. Quelque chose qui a du mal à passer auprès des habitants : comme si eux était dévitalisés ! Beaucoup ici se souviennent de ce qui s’est déjà passé dans le quartier Puerto-ricain voisin, qu’on appelait encore Little San Juan il y a une dizaine d’années, et qui, maintenant que le prix du m2 qui a été multiplié par 20, se nomme Wynwood art district.

C’est ce qui fait enrager Jean Mapou, personnage incontournable dans sa “libreri” de Ti Ayiti - son visage est même peint sur une des plus célèbres fresques murales du quartier. Écrivain et libraire, défenseur de la culture haïtienne, il raconte comment “il ne se passe pas une semaine sans un coup de fil d’un promoteur qui me demande de vendre”. Le dernier en date lui a proposé (sans succès) un million de dollars en ajoutant : “vous pouvez donner tous vos livres, faites-en ce que vous voulez, moi tout ce qui m’intéresse, c’est le terrain”.

En attendant, tout le quartier est en train de changer : les échoppes ferment les unes après les autres, les habitants disparaissent et les palissades annoncent une nouvelle histoire. Mais certains refusent de se laisser chasser. Comme Marleine Bastien, militante associative qui se bat pour que ses voisins ne deviennent pas des réfugiés climatiques d’un nouveau genre. Et cette combattante acharnée s’en donne les moyens. On l’avait retrouvée en pleine campagne électorale en novembre dernier, elle a depuis gagné les élections et siège au 2e district de Miami-Dade. Où elle risque de continuer à mettre des bâtons dans les roues de développeurs...

Reportage : Giv Anquetil
Réalisation : Clément Nouguier
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Programmation Musicale :
MC Shy D - "Shake It"
Toto Bissainthe - “Dey”
Lien : le Comité Safer cleaner ships regroupe des habitants de Key West qui, comme le Capitaine Will Benson, se battent contre les dégâts provoqués par les gigantesques paquebots de croisière et leurs 1 million de touristes par an.
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