

Champion européen de l’élevage et deuxième exportateur agricole mondial, les Pays-Bas paient aujourd’hui le prix d’un modèle agricole industriel qui ravage l'environnement. Si bien que les autorités réagissent en annonçant diminuer le cheptel de 30%. Reportage à travers un pays qui change de cap.
On n’élève pas plus de 100 millions de bêtes dans un pays de 17 millions d’habitants - et dont la taille ne dépasse pas celle d’une région française - sans entraîner des conséquences sur l’état de l’eau, la terre et la biodiversité. Et l’addition est salée. C'est en grande partie à cause de cette industrie de l’élevage que les Pays-Bas sont l'un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre par habitant en Europe.
Giv Anquetil à la rencontre de divers acteurs mobilisés sur place : biologiste, éleveurs, spécialiste de l'alimentation animale et organisations militantes : c'est le grand reportage de la Terre au Carré !
La biodiversité de la forêt d'Otterlo
Arnold van den Burg, biologiste, ne comprenait pas pourquoi les oiseaux de la forêt d’Otterlo qu’il étudiait, dans le centre du pays, n’arrivaient plus à éclore ou naissaient malformés. Inquiet, il a mené l’enquête pour finalement s’apercevoir que c’est la forêt tout entière qui se vidait de son calcium, à cause de l'acidification des sols provoquée par l'azote des élevages de la région. Aujourd’hui, près de 70% des arbres sont touchés dans cette forêt pourtant labellisée Natura 2000. Face à ce constat dramatique qui affecte toute la faune et la flore, Arnold a été appelé à témoigner devant la plus haute juridiction administrative du pays, qui a condamné en mai 2019 l’Etat néerlandais pour ses manquements à ses engagements européens de réduction des émissions d’azote.

“Il a fallu agir”
Depuis son bureau du Parlement à la Haye Tjeerd de Groot, élu du parti D66, membre de la coalition gouvernementale de centre-droit est un fervent partisan d’une réduction de la production et de la consommation de viande industrielle. Loin d’être un zadiste décroissant, il explique comment le gouvernement a mis sur la table 25 milliards d’euros pour diminuer de 30% le nombre de bêtes. L'objectif est de diviser par deux les émissions d’azote du pays d’ici 2035, tout en changeant un modèle arrivé à bout de course.

Mark van den Oever est éleveur de cochons à Saint Hubert -”une petite exploitation” dit-il, seulement un millier de bêtes dans pays où la moyenne tourne autour de 3 500 par exploitation. Mais il produit aussi des poires et des sapins de Noël. Il est surtout le président de la récente FDF, la Force de Défense des Fermiers, un mouvement hostile à toute diminution de l'élevage.
Mais, pendant qu’une minorité s’engage dans le bras de fer, d'autres Néerlandais, et pas seulement ceux des villes, applaudissent ce changement de cap. Comme Kees Scheepens, ancien vétérinaire pour l'industrie porcine qui a jeté l’éponge il y a 20 ans après avoir dû, en pleine épidémie, euthanasier 130 000 porcelets en bonne santé. Amoureux de ses bêtes et défenseur d’une diminution de l’élevage au nom du bien-être animal, Kees développe même un prototype de toilettes porcines pour séparer l’urine et les excréments de ses bêtes, et éviter la formation de l’ammoniac d’où provient l’azote.

Des vaches de laboratoire
De leur côté, les principaux acteurs du secteur, eux, font tout pour s’adapter aux nouvelles règles du marché. C’est la mission du laboratoire hi-tech du Dairy Campus, à Leeuwarden, en Frise: un centre de recherche sur l'élevage laitier, partenariat entre les grands de groupes laitiers et l'université de Wageningen. Dans un hangar, des vaches testent 4 différents types dallages au sol, censés diminuer les dégagements d’azote, et dans un autre, des robots nourrissent des vaches bardées de capteurs pour être étudiées sous toutes les coutures, de leur mastication à leurs déjections, en passant par leur haleine chargée de méthane. Enthousiaste, Jan Dijkstra, spécialiste de l’alimentation bovine, estime pouvoir diminuer leurs émissions de ce puissant gaz à effet de serre de 50%, en changeant leur menu et en y ajoutant quelques additifs...

Passer de l’exploitation à quelque chose de plus symbiotique
A côté de cette course aux solutions technologiques pour continuer à avoir toujours plus de vaches à lait (littéralement), d’autres initiatives s’attaquent à changer de paradigme. C’est l’ambition de Land van ons, “Notre terre”, une coopérative de citoyens qui - lassés d’entendre les alertes et d’attendre des actes - ont décidé de s’y atteler eux-mêmes, en mettant la main à la pioche et à la poche. Sur le polder de Oud Ade, en Hollande Méridionale, un projet sur 10 ans vient d’être lancé avec Maarten Schrama de l’Université de Leyde : faire revenir l’eau dans ce polder pour restaurer ses tourbières et leur biodiversité, tout en y testant différents types de cultures et d’élevage, à l’abri de nouvelles haies qu’une centaine de bénévoles s’apprêtent à planter. Car l’avenir ne pourra plus s’écrire en préservant simplement certaines zones tout en continuant à polluer à côté dit-il, mais en changeant de pratiques et en redéfinissant le rapport des hommes à leurs paysages.

Reportage Giv Anquetil
Réalisation Clément Nouguier
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