

Dans les campagnes de l’Andhra Pradesh, cet Etat agricole du sud-est qui a lancé depuis 2018 le plus grand programme d’agroécologie au monde. Près d’un million de paysans y sont déjà passés au "natural farming", délaissant OGM, pesticides, fongicides, et engrais chimiques.
Cette ”agriculture naturelle” veut réparer la terre et relever les 8 millions de paysans de cet Etat, confrontés à l’appauvrissement des sols et le surendettement.
La Révolution Verte, impulsée par Nehru dans les années 60, avait sorti les campagnes indiennes de la famine en s’appuyant sur le recours massif aux pesticides et engrais chimiques et une intense irrigation. Ce programme de modernisation agraire a hissé l’Inde, qui a la 2e surface agricole au monde, au rang de premier producteur de lait, et le second de blé, riz, coton, sucre, thé, fruits et légumes. Mais ce succès basé sur la monoculture intensive a ouvert une longue série de revers, comme la dépendance accrue à ces intrants, l’érosion de la biodiversité qu’ils provoquent, ainsi que la dégradation des sols, la pollution et l’épuisement des nappes phréatiques, le tout aggravé par le changement climatique. Et quand les sols s’appauvrissent, les paysans eux aussi. D’où le cycle infernal du surendettement et son lot de suicides et d’exode rural : on estime que 350 000 agriculteurs se sont donnés la mort en Inde depuis le milieu des années 90.

D’où le pari de la sortie de l’agriculture chimique pour ses 8 millions de paysans confié par l’Etat de l’Andhra Pradesh à Vijay Kumar. Ce fonctionnaire à la retraite suractif qui, après avoir travaillé des années à aider les petits paysans de la région à travers le micro-crédit, anime l’organisme paraétatique (APCNF) qui épaule et structure les agriculteurs pour leur conversion à l’agroécologie.

Car il s’agit de ne pas faire les mêmes erreurs qu’au Sri Lanka voisin, où une expérience de passage radical au bio décrétée par le pouvoir a eu des conséquences désastreuses : ici c’est progressivement, champ par champ que le changement s’opère.
L’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et le développement (la FAO) est d’ailleurs partie prenante de ce projet à grande échelle. Tout comme de nombreux chercheurs internationaux, dont le Français Bruno Dorin (économiste et ingénieur en agriculture au CIRAD), qui conseille Vijay Kumar à non seulement réparer les sols et s’adapter au changement climatique, mais aussi à échafauder la sortie d’un modèle agricole qui a fait trop de dégâts. Résilience des sols donc, et aussi des hommes qui y vivent. Et ils sont de plus en plus nombreux à faire ce choix : 900 000 paysans d’Andhra Pradesh ont déjà changé de pratique, la consommation de pesticides a diminué de 23%, et les autorités se donnent encore 5 ans pour que tous aient réalisé cette conversion.
Et c’est d'autant plus intéressant que le Premier Ministre (d’extrême droite hindouiste) Narendra Modi s’est tout récemment -lui aussi- mis à encourager ce modèle pour l’Inde tout entière. Il faut dire que ses déclarations en faveur du bio sont arrivées juste après une année entière de mobilisation de paysans montés à Delhi, et qui ont forcé le gouvernement à enterrer un programme de réforme agraire très libéral. En attendant, loin de l’arène politique, dans les campagnes cuisantes de ce coin du pays, on est très loin des “bobos bio” qu’adorent détester les partisans de l’agrobusiness. Ici, les premiers bénéficiaires de cette nouvelle révolution verte sont des paysans pauvres qui relèvent la tête. Et tout particulièrement les femmes, qui ont une place essentielle dans cette grande révolution à petits pas.

Reportage Giv Aquetil
Réalisation Clément Nouguier
Traduction Padma Natarajan
Musique "Padara Padara" Shankar Mahadevan tiré de la BOF Maharshi
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