La découverte d'un bacille de la peste datant de 4900 ans interroge sur le déclin des populations à la fin du Néolithique et sur l'histoire des migrations en Europe
C’est dans la pulpe dentaire d’une jeune femme, en Suède, qu’une équipe franco-suédo-danoise a fait cette découverte surprenante : la plus ancienne souche du bacille de la peste Yersinia Pestis, vieille d’environ 4900 ans. Elle a été identifiée « grâce à l’idée brillante d’un postdoctorant, Nicolas Rascovan, qui a voulu analyser les données publiques de génome anciens de plus de 100 individus, à la recherche de pathogènes », explique Christelle Desnues, microbiologiste à l’Institut Hospitalo-universitaire Méditerranée infection à Marseille.
Si cette découverte étonne les chercheurs, c’est parce que « la plus ancienne souche de peste retrouvée jusqu’ici remontait à -4700 ans et avait été identifiée en Russie, et la bactérie identifiée en Suède ne collait pas du tout avec les modèles de dispersion de la peste », poursuit Christelle Desnues.
Les scientifiques ne sont pas au bout de leurs surprises
L’analyse de l’ADN des traces de pulpe dentaire – un prélèvement inédit jusque-là – permet de repérer une trace de pathogènes systémiques. « Ce sont des pathogènes qui se retrouvent dans la circulation sanguine, et cette trace perdure au fil des siècles », décrypte Christelle Denues.
« Nous avons finalement découvert que cette souche de peste était non seulement la plus ancienne identifiée jusqu’à présent, mais qu’elle était aussi à la racine de l’arbre phylogénétique, soit l’ancêtre le plus lointain des différents types de pestes. Nous avons ensuite pu identifier une période, allant de – 5700 à -5100 ans, durant laquelle plusieurs souches indépendantes de peste ont émergé et divergé », complète Nicolas Rascovan, biologiste spécialisé en métagénomique et paleometagénomique.
Dans quelles conditions les différentes lignées de cette maladie dévastatrice sont-elles apparues ?
Pour le comprendre, l’équipe de recherche européenne travaille avec des archéologues. Or, cette période coïncide avec l’émergence de grands conglomérats humains en Europe.
Nicolas Rascovan :
C’est la première fois qu’il y a de telles agglomérations d’individus au même endroit. Ces centres proto-urbains comptent entre 10 000 et 20 000 personnes, qui vivent essentiellement de l’agriculture. Il y a une accumulation de nourriture, une proximité avec les animaux (vaches, mais aussi rats, souris), et une hygiène probablement sommaire. Ce sont des conditions idéales à l’émergence de maladies infectieuses.
Quant à la propagation de la bactérie, elle pourrait s’expliquer, non par les migrations, mais par la révolution technologique en cours. Le développement de la roue et de la traction animale ont en effet favorisé les échanges commerciaux entre ces conglomérats, où les populations étaient plutôt sédentaires.
Ces travaux, parus dans la revue Cell, interrogent aussi sur le rôle de la peste dans le déclin des populations qui survient à la fin du néolithique. « Les colonies sont régulièrement brûlées, puis reconstruites. Mais vers -5400, elles n’ont plus été reconstruites », explique Christelle Desnues.
Nicolas Rascovan ajoute :
Le déclin des populations du néolithique en Europe a été suivi par une invasion des populations originaires des steppes du nord-est. Nous pensons que la peste aurait pu contribuer à ce déclin, ouvrant la voie à leur implantation. Cependant, vu que la peste était aussi présente à cette époque dans la steppe, nous pouvons également formuler une autre hypothèse : ces populations cherchaient peut-être à fuir la peste.
Pour savoir si « un microorganisme a pu bouleverser l’histoire humaine », comme le formule Christelle Desnues, l’enquête doit donc se poursuivre.
À l'antenne
► Pour aborder cette question, Agnès Faivre reçoit Christelle Desnues, microbiologiste, à l’Institut Hospitalo-universitaire Méditerranée infection à Marseille.
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