Emmanuel Carrère : "je ne crois pas beaucoup à l'objectivité"

France Inter
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Invité spécial de la matinale, l'écrivain qui publie Il est avantageux d'avoir où aller (POL) commentera l'actualité avec Patrick Cohen de 7h à 9h.

Le journaliste Emmanuel Carrère, c’est un témoin qui dit qui il est ?

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Je ne crois pas beaucoup à l’objectivité, je préfère revendiquer la subjectivité . Eventuellement avec mes œillères. Ca me parait une forme d’honnêteté.

Il y a aussi portrait chinois. Se dessinent des préférences. C’est aussi un livre qu’on construit. Ça devient un travail de montage.

Le journaliste qui s’efface derrière les faits ça vous ennuie ?

Je n’y crois pas.

Le journalisme d’agence, on n’a pas à raconter sa vie dedans. Mais quand un texte est fouillé, la présence de l’auteur est une forme d’humilité : ce n’est que moi qui le dit.

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Vous avez la chance de pouvoir choisir vos sujets. Qu’est-ce qu’un bon sujet de reportage ?

Il faut que ce soit un sujet qui me fasse découvrir quelque chose. Il y a quelques années, j’avais pensé avec ma femme journaliste, qui connait le monde économique mieux que moi, à un titre « rassurer les marchés ». On était allés à Davos […] c’était passionnant [...] le terrain m’était étranger.

Ensuite éventuellement d’en tirer matière à des histoires plus ambitieuses .

Ça peut arriver qu’un reportage donne lieu à un livre. C’est ce qui s’était passé pour le reportage fait sur Limonov qui succédait lui-même à un article sur Anna Politkovskaïa. Cette figure de Limonov était pour moi un petit fasciste, en fait il était extraordinairement respecté. J’ai continué mais c’est la même chose. La différence est de longueur, de durée mais c’est écrit pareil. Ça me semble être le même travail.

Je vous cite : « Je suis du bâtiment, depuis quinze ans j’écris des livres de non-fiction 2 qui rendent compte de faits réels et décrivent des personnes réelles, connues ou inconnues, proches ou éloignées de moi, et j’en ai blessé certaines, oui, mais je soutiens que je n’en ai trompé aucune. » Il y a une forme de fidélité aux personnages croisés dans la vie réelle ?

Il y a un impératif moral, à l’égard de quelqu’un comme Limonov, qui a dit les pires choses sur les gens, il se trouve que le livre lui a plu mais si ça n’avait pas été le cas, je m’en fous. Pour Jean-Claude Romand, cet homme condamné pour meurtres, on lui doit encore plus d’égard.

Vous expliquez que quand vous étiez journaliste vous n’aimiez pas faire des interviews. Vous n’aviez pas préparé de questions.

Première m’avait demandé d’interviewer Catherine Deneuve en m’expliquant qu’elle souhaitait que ce soit moi. Pendant l’interview, à aucun moment elle n’a rappelé cette espèce d’élection. J’étais vexé comme un pou. Le travail de journaliste normal, je ne l’ai pas fait du tout, je ne faisais que des remarques ineptes auxquelles elle répondait par des réponses vagues.

Je n’ai pas dit dans le livre mais Première soumet l’article à Catherine Deneuve qui m’appelle le lendemain : « bien joué c’était une bonne idée de le présenter comme cela ».

(Auditrice) Vous sentez-vous historien, journaliste ou écrivain ?

Essentiellement écrivain mais cela n’exclut pas les deux autres . Je ne suis pas un historien qualifié mais Limonov et le Royaume sont un peu des livres d’historien amateur.

(Ilana Moryoussef) Vous vous confrontez à la réalité et quelques fois vous n’êtes pas sûr de ce qu’est la réalité

Le propre de la réalité est de répondre au mouvement qu’on peut avoir vers elle. Ca se passe rarement comme on l’attendait. Quand on écrit dans une espèce de dialogue avec la réalité, il se passe un tas de choses qu’on ne pouvait pas prévoir. C’est ce qui la rend passionnante.

(Patrick Cohen) Vous êtes fasciné par les histoires criminelles. Vous m’avez dit, il y a une série qui m’a scotché : « Making of a murderer » qui passe sur Netflix ces dernières semaines.

C’est une série documentaire, c’est le récit d’une erreur judiciaire. Il y a cette chose qui ne peut exister que dans un documentaire : le type accusé entend sa condamnation à perpétuité et le film vous a convaincu qu’il est innocent. Il y a quelque chose d’incroyablement poignant, qu’on ne peut avoir dans aucune fiction.

La grâce accordée à Jacqueline Sauvage pose une question. L’avocat général est venu faire entendre une voix moins sympathique : quand la Justice a suivi son cours, si la dernière instance c’est les réseaux sociaux, c’est inquiétant aussi. C’est une autre forme de la vox populi.

Dans la série dont on parle, on reprend toute l’histoire en plaidant l’innocence du type, il y a des pétitions signées par 400 000 personnes envoyées à Obama. C’est devenu un grand débat de société. Une fois que la Justice n’a pas été bien rendue, qu’est-ce qu’il y a comme dernière instance ? C’est encore une fois l’influence sur le réel, de la création documentaire.

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