- Hervé Le Bras Démographe, historien, directeur d'études à l'EHESS et chercheur émérite à l'INED, titulaire de la chaire territoire et population à la Fondation Maison des sciences de l’homme, il réalise une chronique pour le mensuel Zadig, "La France à la carte"
Quelle est la géographie du vote FN, et quel est le profil de l'électeur frontiste? Explications avec le démographe et historien Hervé Le Bras, au lendemain du premier tour des régionales marqué par une poussée du vote frontiste.
8 h 20 Hervé Le Bras.
Interview Intégrale d'Hervé Le Bras :
Que vous a appris le détail des résultats du premier tour des régionales ?
Si on regarde le résultat, il est contrasté selon la région. J’ai comparé à la dernière élection, celles de mars pour les départementales, pour voir le mouvement.
Là on s‘aperçoit qu’il y a une règle extrêmement simple, plus le FN était haut en mars 2015, plus il a monté . Si on prend les deux extrémités de la courbe, quand il était très haut dans le nord et dans le PACA, environ à 34% il a pris 6 points de plus. Il y a une dynamique, je la trouve inquiétante.
Il y a un effet d’accélération dans les territoires où il est déjà implanté. Si on prolonge la courbe on dépasse les 50% dans le futur ?
Heureusement la progression est plus lente. Ce n’est pas simplement la dédiabolisation. Le Vote FN était considéré comme honteux il est devenu presque arrogant . Dans certains territoires il est devenu une chose qu’on affirme avec une certaine force.
Qui a pâti de ce vote Front national ?
Si on poursuit la comparaison avec les régionales […] on a une surprise**, la droite a nettement perdu et la gauche a nettement progressé** . C’est quelques fois spectaculaire. Dans la région Centre : la gauche état en retard de 6 points en mars dernier, il est maintenant en avance de 6 points. Je n’avais pas lu que cela allait se produire. Quelle est la raison de regain ? Peut-être un affaiblissement de la gauche. Ça rend l’issue de dimanche prochain incertaine.
Même en Pays de la Loire on pensait que la droite allait reprendre le pouvoir, ils sont au coude à coude. Tout va dépendre des reports.
A droite a une autre inquiétude, ils n’ont plus de réserve . La réserve Dupont-Aignan, que vont-ils faire ? Ils n’ont pas donné de consigne de vote.
Quelle conclusion politique vous tirez de l’affaissement du bloc de droite ?
Beaucoup d’observateurs vont devoir s’habituer au tripartisme.
Une conséquence curieuse est que les petits partis d’appoint sont importants. Ca va rendre le fonctionnement de la démocratie beaucoup plus instable.
La droite offre un éventail de discours différents, on a découvert qu’en PACA LR avaient fait un score décevant, 14 points derrière Marion Maréchal Le Pen. En revanche Laurent Wauquiez est en tête en Rhône-Alpes Auvergne arrive en tête. Est-ce que ce sont les plus droitiers qui ont résisté ?
On ne peut pas dire que Xavier Bertrand soit un extrémiste de droite. Quant à Dominique Reynié, c’est un cas particulier. Je ne pense pas qu’il y a ait de leçons à tirer, pour une autre raison, le vote a été national . Les régions ont une présence moins forte que les départements. Il y avait peu de vedettes de premier rang. Ce n’était pas très exhalant pour un électeur.
Vous voyez à quel point les dirigeants LR essaient d’avoir des réponses à la stratégie. Alain Juppé, François Fillon laissent comprendre qu’ils pourraient contester la ligne Sarkozy qui consiste parfois à courir après les lignes du FN ?
Sarkozy avait réussi ce que les Le Pen avaient qualifié de « hold-up ».
A cause de quoi ?
Quand on regarde dans le détail, il n’a pas mis en œuvre ses mesures très droitières.
Le ministère de l‘immigration de Nicolas Sarkozy n’a pas changé grand-chose à l’immigration.
(Patrick Cohen) Ces électeurs de la gauche de la gauche qui votent FN sont nombreux ?
Au début il n’y avait pas de rapport entre l’électorat PC et FN . Puis, progressivement les électeurs PC ont commencé à lier le FN, c’est presque en phase terminale.
Le raisonnement dans mon livre « Le pari du FN » me donne raison. C’est un pari au mauvais sens du terme, on a plus de chances de perdre que de gagner, mais on a cette petite possibilité de gagner alors autant la choisir.
Interactiv' l'intégrale :
(Patrick Cohen) Dans le témoignage, la personne dit « Autant les essayer et s’ils sont mauvais on les chasse ».
C’est beaucoup plus dur de chasser du pouvoir des leaders d’extrême droite que des leaders démocrates aguerris.
(Thomas Legrand) Est-ce que c’est si désidéologisé que ça ou il y a une droitisation de la France ?
Il n’y a pas de contenu idéologique, quand on prend les différents slogans du FN ils se contredisent entre eux.
(Auditeur) Quelle analyse des électeurs qui n’ont jamais voté pour le FN, qui n’iront jamais voter pour le FN mais qui se retrouvent trahi par les propositions classiques et qui deviennent grévistes de l’élection, qui n’apparaissent jamais dans aucune statistique ?
Si on regarde l’évolution de l’abstention, elle a nettement reculé dans le Nord puis en PACA par rapport aux régionales. On peut penser que l’électorat a aidé le FN. Ailleurs, l’abstention a plutôt été plus forte.
Quand on prend les régimes démocratiques, les pauvres sont plus nombreux que les riches, ils devraient être au pouvoir. Cela ne s’est pas produit car les pauvres ont l’espoir de devenir riche, c’est la promesse du progrès social, c’est là qu’ils essaient de prendre le pouvoir autrement.
(Auditrice) quid du vote blanc ?
Le vote blanc a eu une influence, une seule fois, pour le référendum de Rocard sur la Nouvelle-Calédonie, il a été recommandé par, je pense que c’était le PC, et il a atteint plus de 10%, c’est la seule fois où cela s’est produit dans l’Histoire récente.
L’abstention est très variée selon l’âge, elle est de 76% pour les 18-24 ans. Elle n’est plus que de 30% pour les 65% et plus. Ce sont quand même les retraités qui font la politique en France.
(Patrick Cohen) Les retraités votent moins pour le FN. En revanche les jeunes votent plus pour le FN.
A partir de 25 ans, les jeunes votent nettement plus pour le FN.
(Twitter) Pourquoi ne pas rendre le vote obligatoire ?
Il y a des expériences de vote obligatoire , en Belgique par exemple, ça ne change pas grand-chose . Les amendes sont difficiles à appliquer.
(Thomas Legrand) Est-ce qu’on peut raisonner quelqu’un qui vote avec ces tripes ?
Le raisonnement n’a pas de prise.
Ça m’a frappé en reprenant la géographie du FN depuis plusieurs élections, il y a quelque chose de l’ordre de la rumeur , le FN se répand plus dans les zones de grande circulation. Il est devenu difficile de raisonner avec le FN. On vous assène des évidences.

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