Régis Debray : "Soyons un peu patients avec l'Islam"

Régis Debray : "Soyons un peu patients avec l'Islam"
Publicité
Avec

En plein questionnement sur la place des intellectuels dans le débat public en France, le philosophe et essayiste publie deux ouvrages qui s'intéressent à la laïcité à l'école et à l'enseignement de l'Histoire.

Vous vous reconnaissez dans ce groupe Onfray / Finkielkraut / Debray ?

Publicité

Non pas du tout. La polémique d’action directe ce n’est pas mon fait.

Qu’est-ce que c’est qu’un intellectuel ? Une personne qui doit rendre public son avis privé sur le cours des choses. Il devient un journaliste haletant. Il ne travaille pas assez, il fait trop de bruit.

L’écrivain et le philosophe se doivent d’abord aux études. La politique s’est vidée de tout contenu intellectuel, donc il est normal que les intellectuels comblent le vide. Ce sont des fabricants d’opinion.

Vous êtes prêt à assumer ce titre de "fabricant d’opinion" ?

L’intellectuel est un imbécile que nous devrions tenir pour tel avant qu’il nous prouve le contraire ». C’est une citation de Bernanos que nous devrions toujours avoir à l’esprit.

Vous êtes pour le « c’était mieux avant » ?

Les révolutionnaires sont des gens hantés par l’Histoire. La culture est le culte des grands morts. Je ne suis plus révolutionnaire car je n’interviens plus dans la vie politique.

Je ne me sens pas faire partie du lot, d’ailleurs je préfère la longue durée. Je préfère faire des livres sur la laïcité.

On ne peut pas traiter de l’actualité si l’on n’a pas cet arrière fond historique.

"Madame H" est une sorte d’essai sur le deuil de l’Histoire ?

L’Histoire se porte très bien. L’Histoire comme science se porte très bien. Chacun sait qu’elle a recommencé de plus belle depuis 1989. C’est l’emprise de l’histoire sur les esprits en France qui me semble être en train de disparaître. […] Car il y a deux choses importantes aujourd’hui, la technique et la religion.

De Gaulle expliquait que la France avait un destin exceptionnel. […] Et c’est ce sentiment d’exceptionnalité que les Français n’ont plus. Quand on voyage on est stupéfait de l’effacement de la France par les esprits.

La politique comme gestion c’est un pousse au crime, ça force les intellectuels à rentrer sur la scène politique. […] Après avoir dit que les intellectuels sont des jean-foutre, j’ai envie de prendre leur défense. Ce n’est pas de leur faute ! […] Il se trouve que les gens compétents ne font plus leur travail, ils ne portent plus un mythe, ils n’ont plus de force de convocation.

C’est quoi l’Histoire pour vous ? Réponse « ce qui me met les larmes aux yeux ». On comprend qu’aujourd’hui rien ne vous met les larmes aux yeux.

Si, les tragédies historiques me mettent les larmes aux yeux mais en tant que Français je n’ai plus les larmes aux yeux. Sauf parfois, pour le discours de Villepin à l’ONU par exemple.

(Pascal) – Le mot souverainiste est un mot doux pour dire nationaliste. Que pensez-vous de ce parallèle grossier ?

La souveraineté est la souveraineté du peuple, ça suppose la Nation au sens civique. Je suis un patriote et pas un nationaliste. Je pense que la France n’a aucune supériorité sur les autres. Souverainiste est un mot élogieux alors que nationaliste est un mot négatif.

Le découpage thématique du programme d’histoire ne va pas. La guerre d’Espagne ne figure pas dans l’enseignement du totalitarisme en Europe.

Il y a un lien entre le déclin de l’Histoire et l’aspiration à faire l’Histoire. […] Je pense qu’à l’école primaire il faut une légende, puis dans le secondaire passer à la complexité mais il faut un socle.

Qu’est-ce que faire l’Histoire ?

Faire l’Histoire c’est toujours faire des pas de côté, rompre avec le ronron, le consensus.

Faire l’Histoire, c’est aussi le leitmotiv des djihadistes.

Oui mais dans une culture de mort et pas de culture de vie. Souvent ils n’ont pas de culture religieuse. Beaucoup d’aumôniers dans les prisons me le disent.

Dans une République marchande, où on ne pense qu’au fric, on ne peut pas empêcher les jeunes de penser à autre chose.

Vous pensez que l’inculture religieuse est une source de la crispation religieuse actuelle.

Il faut l’enseigner pour éviter le fanatisme, il faut l’enseigner pour avoir le respect des autres. […] Il ne s’agit pas d’inculquer la foi mais ce qui fait bouger les autres peuples.

(Brigitte) Est-ce que vous pensez que l’islam peut rimer avec démocratie ?

Le catholicisme a été brouillé avec la démocratie pendant des siècles et finalement il s’y est fait. Pourquoi ne pas escompter la même chose de l’Islam ?

Mais il y a une difficulté, l’Islam a commencé par la Renaissance et ensuite il a fait le Moyen-Age, nous on a fait l’inverse. […] Je crois que la laïcité sera compatible avec l’islam. […] Soyons un peu patient avec l’Islam. Patient et vigilant.

(Twitter) Pensez-vous que le blasphème est sacré ?

J’ai envie de dire que c’est le droit au blasphème qui est notre sacré. […] Ce qui n’en fait pas un devoir pour autant, il faut avoir un peu de respect pour la foi des autres.

L'équipe