
C’était un comédien. Il a fait rêver des millions de spectateurs à travers le monde et il est mort.
C’était devenu un vieux monsieur, à la santé fragile, qui jadis avait joué sous la direction de Godard. Il avait été partenaire d’Alain Delon, de Catherine Deneuve, de tant d’autres et il est parti cette semaine comme s’en vont aussi ceux qui ont eu une belle vie et finissent, comme chacun, par arriver à destination.
C’était un comédien et il est mort.
Je parle de Nino Castelnuovo, celui qui, dans Les Parapluies de Cherbourg, interprétait Guy, amoureux de Geneviève et jeune appelé, partant en Algérie effectuer son service militaire.
Oui, bien sûr vous pensiez que j’allais faire ma chronique sur Belmondo. Je suis farceur, je sais ce n’est pas très élégant de s’amuser sur le dos des morts, surtout quand on les aimait ces morts et qu’on aura bien le droit de continuer, grâce à la magie du cinéma, à admirer, à aimer.
Mais pardon, depuis le temps que je tiens le crachoir sur France Inter j’ai déjà rendu hommage à Belmondo, de son vivant. C’était il y a des années, Patrick Cohen était encore sur Radio France, je veux dire Patrick Cohen n’avait pas encore réintégré Radio France, c’était il y a des siècles, Nicolas Demorand n’était pas encore parti de France Inter, je veux dire, Nicolas Demorand n’était pas encore revenu à France Inter, enfin, c’était en des temps immémoriaux et moi j’étais déjà ce roc imperturbable, cette balise immuable qui reste un repère à l’horizon, une borne, un amer que l’on scrute et qui rassure, que l’on recherche et qui soulage, quand tant bien que mal on essaie d’avancer dans l’océan changeant de nos existences en furies, oui, j’étais déjà cette bitte, rassurante et solide, sur laquelle, à neuf heures moins trois, chaque vendredi, chacun vient amarrer la fragile embarcation de sa vie.
Donc, Nino Castelnuovo est mort le même jour que Jean-Paul Belmondo et ce n’était pas une chose à faire, Nino. Demandez à Cocteau mort le lendemain de Piaf. Demandez à Jean d’Ormesson, mort le même jour que Johnny et demandez, si vous vous souvenez encore de lui, à Roger Riffard, mort, selon l’expression d’Anne Sylvestre en lever de rideau de Georges Brassens il y aura bientôt 40 ans. Nino, il fallait attendre un peu, une semaine, quinze jours et vous retrouver en compétition avec des inconnus vaccinés ou non vaccinés mais qui devront devant Saint-Pierre présenter un passe sanitaire.
Le monde est divisé en deux. Ceux qui pensent que les films de Jacques Demy sont niais, kitsch, cucul la praline (on n’emploie plus beaucoup l’expression cucul la praline et c’est dommage), et ceux qui, comme moi estiment que les films de Demy sont beaux, bouleversants, lyriques et pas du tout cucul la praline (dont on me signale que l’expression peut être avantageusement remplacée par cucul la fraise, cucul la violette, cucul la rainette, cucul la noisette, voire cucul la praloche, ce que je conteste hardiment car aucune de celles-ci, à mon avis, ne pourra jamais se hisser au niveau de l’idéal cucul-la-praline)
Nino est mort. Jean-Paul est mort. Tant qu’on a un cœur qui bat, des yeux capables de s’émerveiller, le cinéma reste vivant.
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