Ah ! La châtaigne ! Chez moi dans le Gers on dit la "Castagne". Et je peux vous dire que j’en connais un rayon sur le sujet. Comme tous les cuistots de ma génération d’ailleurs.
Je m’en suis mangé quelques-unes, des châtaignes, quand j’étais marmiton.
J’en ai pris, des marrons !
Et des gratinés, croyez-moi :
- Le marron chaud du chef sanguin et gueulard,
Celui qui, pendant le coup de feu devient plus bouillant que ses gamelles et qui te les balance à la tronche quand tu as cramé l’omelette.
- J’ai aussi dégusté le marron glacé du chef de partie, hautain et méprisant.
Lui, son truc c’est la colère froide, la remarque glaciale, l’humiliation réfrigérante.
Et, je l’avoue, jeune chef à mon tour, j’ai moi aussi cédé à la tentation de la châtaigne.
Verbale, la châtaigne, uniquement verbale, c’est comme ça qu’elle est le plus amère.
Je la mettais à toutes les sauces.
C’est tellement plus facile d’évacuer sa peur ou de planquer ses défaites en castagnant les autres.
Je n’hésitais pas à servir du rab de marrons aux filles que je prenais, hélas, pour des dindes.
Ah je n’étais pas une crème…
J’ai changé…
Pour éviter de prendre des marrons mais surtout d’en donner, j’ai choisi de travailler seul.
Seul en cuisine pour ne me castagner qu’avec moi-même.
Ça n’a pas suffi à évacuer le problème…
Sous la plume des critiques gastronomiques, la châtaigne est toujours de saison.
Louange qui propulse le cuistot dans les étoiles…
Châtaigne qui l’en fait choir.
Chute qui peut briser les ailes.
Les ailes de Loiseau
Je pense à ce pauvre Bernard qui, n’arrivant pas à digérer ses châtaignes, s’est collé un pruneau.
Il y a aussi les marrons pourris, ceux qui infestent les réseaux, prolifèrent sur le terreau puant de la rumeur et lapident le cuisinier.
Je pense à Taku Sekine, qui n’y a pas survécu.
Je pense aussi au… « Show-Cuisiness »
A ces filles et ces gars qui, maintenant que la cuisine est un spectacle, accourent devant les caméras pour se prendre des marrons en public.
Marrons vanillés, édulcorés, mais toujours durs à avaler, administrés par des Chefs célèbres qui, n’en doutons pas, en furent aussi gavés dans leur jeunesse…
Mes amis ! Les temps sont venus de virer la châtaigne du menu !
Tant pis pour le mont blanc, tant mieux pour les cuistots.
Et tant mieux pour les cuistotes, la blague salace ou la main baladeuse, ce n’est pas plus admissible que le coup de pied au cul ou la bourrade d’épaule soit-disant virile.
Au passage, je pense à Camille qui sur son site « je dis : non chef !» a récolté une sacrée provision de marrons ramassés par ses sœurs de fourneaux.
Et pourtant les amis ! La cuisine ce n’est pas la castagne, c’est exactement le contraire.
La cuisine, c’est le partage, la transmission, la générosité.
C’est la joie, enfin… ça devrait
Ce n’est pas bien compliqué de comprendre qu’en cuisine comme ailleurs, c’est quand il n’y a plus de châtaigne qu’ensemble, nous nous marrons.
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