

Les poils que nous avons sur le corps sont au cœur des débats. Doit-on les laisser ou doit-on les enlever ?
On en a 5 millions sur le corps – cheveux compris. Mais vous aurez remarqué, on les voit moins chez les femmes que chez les hommes, particulièrement l’été, où on sort les robes et les maillots.
Mais d'où vient au juste cette nécessité de s'épiler ? C'est tellement ancré en nous qu’on ne se pose même pas la question. Une femme s’épile les jambes, les aisselles, et le maillot, un homme… fait ce qu’il veut. Et tout cet ordre établi est bousculé depuis plusieurs années maintenant.
Déjà en 1999, Julia Roberts affichait fièrement ses dessous de bras poilus, et avec les réseaux sociaux les mouvements du type #jegardemespoils ont pris de l’ampleur. On peut voir cette résistance à l'épilation comme un acte hautement féministe et d'affirmation de soi pour déconstruire les représentations idéalisées du corps féminin, et les injonctions associées. Il y a quelques jours, la mannequin et influenceuse Mara Lafontan en a fait les frais : elle a été insultée après une publicité pour un maillot de bain où on voit ses poils sur le ventre.
Au-delà de l’intolérance et de la bêtise pure de certains, pourquoi les poils d’une femme font autant réagir ? Qu’est-ce qui rend d’ailleurs un poil acceptable – les sourcils, sur les bras –, et pas d’autres ? Le poil est un sujet qui cache la forêt d’évolution, de transformation de la société, et concerne aussi les hommes... Alors est-ce qu’on les montre ou pas ?
L'exemple de l'épilation du maillot
Il y a une augmentation du nombre de femmes qui ne s'épilent plus du tout le maillot. Elles sont 28% aujourd'hui, c'est deux fois plus qu'il y a dix ans. Et en parallèle, les jeunes de moins de 25 ans sont de plus en plus nombreuses à s'épiler intégralement le maillot. Quelles sont les raisons de ces évolutions ?
Pour Miléna Younès-Linhart, sociologue : "il y a vraiment plusieurs instances de socialisation à l'épilation et d'intériorisation des normes. Il y a déjà la famille avec plein d'injonctions. Et aussi à l'école, au collège et au lycée. Il y a plein d'injonctions qui sont formulées à l'égard des jeunes filles pour les faire s'épiler. Et en fait, elles intériorisent un dégoût. Elles apprennent à se dire qu'elles désirent avoir un corps lisse. Et ça, c'est lié justement à toutes ces moqueries sexistes, par exemple quand on leur dit : 'Mais t'es pas une vraie femme' ou 't'es dégueulasse', 't'es monstrueuse parce que tu as des poils'. Et donc ça, ça fait intérioriser le fait que c'est un corps qui est marqué par quelque chose de monstrueux, qui ne rentre pas dans le genre, et prouve à quel point ça participe de l'interface de l'entrée dans l'hétérosexualité. C'est-à-dire que pour entrer sur le marché de l'hétérosexualité, il faut avoir un corps qui est normé, qui est conforme aux désirs, aux désirs des hommes. Et donc c'est ça qui produit aussi le genre. Et on voit que l'interprétation des hommes de l'épilation, ça permet de contrôler l'entrée dans la sexualité des jeunes filles. Dire qu'il ne faut pas s'épiler avant douze/treize ans, mais il faut s'épiler à partir de douze/treize ans pour entrer dans l'hétérosexualité."
Selon Christian Bromberger, anthropologue : "ce qui me frappe chez les femmes d'un certain âge, qui ne s'épilent pas le maillot, c'est qu'il y a la volonté de garder quelque chose. Il y a la volonté aussi d'une part de ne pas ressembler à la petite fille, donc d'avoir sa sexualité pleine et entière, et d'autre part également de ne pas ressembler à la porno star. Il y a donc là deux répulsions qui existent et qui font qu'on a cette conduite chez la plupart des femmes d'un certain âge. Vouloir garder quelque chose quand même témoigne de son adultité. Et puis évidemment, pour les plus jeunes, il y a le souci d'être complètement conforme à la norme du lisse pour attirer et pour être un objet parfait. Ce qui fait qu'à ce moment-là, évidemment, il y a ce rasage intégral du pubis, ce qui est quelque chose de frappant aujourd'hui."
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Avec nous pour en parler
- Victoire Doux, illustratrice, autrice du compte Instagram Les dessins de VicDoux
- Nadège Dekenuydt, esthéticienne au salon Un temps pour soi à Angers, vice-présidente de la Confédération nationale artisanale des Instituts de beauté et spas
- Miléna Younès-Linhart, doctorante en sociologie du genre à l’université Paris 8 dans le laboratoire Études de genre et sexualités
- Christian Bromberger, anthropologue, ethnologue, auteur du Sens du poil
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