Convention climat : faut-il interdire la publicité pour les produits polluants ?

Faut-il interdire la pub pour les produits polluants ?
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Faut-il interdire la pub pour les produits polluants ? ©Maxppp - Bruno Levesque / IP3 Press
Faut-il interdire la pub pour les produits polluants ? ©Maxppp - Bruno Levesque / IP3 Press
Faut-il interdire la pub pour les produits polluants ? ©Maxppp - Bruno Levesque / IP3 Press
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Parmi les propositions issues de la convention citoyenne sur le climat, l'une d'elles propose l'interdiction de la publicité pour des produits polluants. Mercredi, l'examen d'une proposition de loi visant à réduire ces publicités, portée par le député Matthieu Orphelin, a commencé à l'Assemblée nationale.

Faut-il interdire la publicité pour les produits polluants ?

  • Thomas Piketty est "pour" cette interdiction

Thomas Piketty pense "de façon générale, qu'il faut aller plus loin que la convention climat, sur beaucoup de points". Sur le point particulier de la publicité, il estime que "les propositions étaient vraiment minimalistes, du bon sens". Il s'agissait d'interdire progressivement la publicité pour les produits les plus polluants (les gros 4x4 etc.). 

Il y a quelque chose de complètement incohérent dans le fait que d'un côté, on va prendre des mesures pour essayer de limiter les émissions de carbone et de l'autre, on remplit les écrans de produits qui ne correspondent pas du tout à cet objectif

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L'économiste voudrait aller plus loin : "Non seulement devrait-on interdire les produits les plus polluants ou l'alcool, la cigarette (comme cela a été fait il y a longtemps), mais il faudrait que pour l'ensemble des produits, on puisse au passage, quitte à avoir une publicité, apprendre des choses sur le contenu carbone de la production, les conditions sociales de la production, les salaires et - pourquoi pas ? - les impôts payés […] On nous embrouille avec la publicité : très souvent, on se retrouve à avoir des belles images qui n'ont rien à voir avec le produit qu'on nous vend à la fin."

  • Dominique Seux, s'il trouve l'idée séduisante, l'estime aussi "globalement inefficace" et juge que :

Les inconvénients sont supérieurs aux avantages (qui existent) 

"Evidemment, c'est séduisant parce que chacun peut en plus régler un peu ses comptes avec la consommation, avec son rapport à l'argent, etc. Il y a un mélange entre les rapports personnels qu'on peut entretenir avec les publicités et la réflexion collective".

Il prend pour exemple le cas concret des voitures : "Aujourd'hui, il y a un système de régulation européen sur les émissions de CO2 qui est en train de faire le même boulot que la suppression de la publicité pour les voitures les plus polluantes. Je m'explique : l'Europe a décidé que les normes d'émissions de CO2 devaient baisser très régulièrement et de manière vraiment très drastique. La conséquence est que chaque constructeur va payer des pénalités considérables s'il ne baisse pas les normes moyennes d'émissions. La conséquence concrète aujourd'hui, c'est que la quasi totalité des publicités en ce moment à la télévision pour les voitures c'est pour les voitures hybrides rechargeables et électriques". 

Regardez : la publicité pour le tabac est interdite depuis très longtemps. Ça n'est pas l'interdiction de la publicité qui fait baisser la consommation, c'est plutôt les taxes - donc c'est plutôt la régulation. 

"Il me semble que la proposition de Matthieu Orphelin est intéressante, mais elle est quand même très brutale". [Précision : l'interdiction des véhicules thermiques en Europe est prévu pour 2040, Matthieu Orphelin propose d'interdire toute publicité pour un produit polluant d'ici 2032]

Télé, radio, presse écrite… les médias vivent aussi de la publicité : n'y a-t-il pas un risque de bousculer leur modèle économique ?

"Changer assez brutalement en enlevant des milliards d'euros aux recettes des médias (notamment privés), c'est un vrai problème" estime Dominique Seux

Ce à quoi Thomas Piketty répond : "Il y a d'autres façons d'essayer d'aider les médias : d'abord, il faudrait faire respecter le droit d'auteur. Le droit voisin n'est pas respecté par des plateformes comme Google qui prennent des milliers de morceaux d'articles sans appliquer la loi. On laisse des plateformes en position monopolistique dans une situation de ne pas appliquer la loi". Il propose également d'imaginer de développer des formes de média à but non lucratif avec "un statut fiscal légal plus favorable", ou encore "des systèmes d'abonnements publics en fonction de ce que versent les lecteurs", ce qui aurait, estime-t-il, "plein d'avantages d'ailleurs sur la propriété des médias, ainsi que sur la surabondance de publicités"

Dominique Seux souligne que : "si on réserve les publicités pour les voitures aux seules voitures électriques, beaucoup plus chères, on réserve la publicité à des produits pour les personnes les plus aisées". 

La vitesse de la transition écologique, à concilier avec la situation économique ?

"Emmanuel Macron s'est mis dans un piège politique assez curieux" estime Dominique Seux, "en disant 'Je vais reprendre tout , ou quasiment tout [des propositions de la Convention Climat]'. La réalité, c'est qu'en fait, nous n'aurons d'yeux que pour ce qui ne sera pas tenu, alors qu'il y a quand même beaucoup de choses qui vont être tenues"

Thomas Piketty refuse d'opposer l'économie au climat : "'en vérité, on peut créer beaucoup d'emplois (par exemple, en allant beaucoup plus vite sur la rénovation thermique des bâtiments). Je pense aussi dans des secteurs comme la santé, l'éducation : il ne faut pas hésiter à créer des emplois, augmenter les salaires. Il y a d'autres façons de redémarrer l'économie". 

Total dit "on arrête les investissements sur le pétrole" : faut-il les croire ?

Thomas Piketty : "Je ne crois pas que, spontanément, des entreprises dont le but est quand même de faire des profits vont résoudre le problème du climat pour nous. Si certaines entreprises européennes font un peu moins de pétrole que des entreprises étas-uniennes, c'est simplement parce qu'elles ont moins de gisements sous la main. Et si jamais elles en trouvent… Vous savez, quand en Norvège, on a trouvé des gisements, c'était un pays social, démocrate, responsable, etc. et ils se sont mis à tout exploiter en grand. Si on en trouve en Méditerranée orientale, regardez, on est prêt à faire la guerre entre la Grèce et la Turquie pour savoir qui va aller le chercher. La vérité, c'est que la logique des compagnies, ça ne va pas être de s'arrêter toutes seules si on n'a pas des sanctions, des réglementations, de la puissance publique, il ne faut pas être naïfs là dessus. "

Dominique Seux nuance : "Il faut réguler, corseter, contraindre, réglementer. [...] Mais Total, ça n'est pas neutre. L'ensemble des compagnies pétrolières européennes est en train de changer, d'évoluer. Alors évidemment, comme elles sont dans un secteur qui pollue, on va dire que ça n'est jamais assez mais...

Total a des moyens financiers tellement plus élevés que les Etats et que la plupart des acteurs : autant les mettre dans la bonne direction

Le covid-19 et la transparence des informations

Le gouvernement a publié hier soir, vers 22h30, un avis du conseil scientifique qui était du 22 septembre, c'est-à-dire avec dix jours de retard.

Dominique Seux rappelle qu'il y avait notamment dans cet avis des scénarios épidémiologiques (Quelles sont les conséquences si on ne fait rien en termes de victimes ? En termes de décès ?) et pousse un coup de gueule : 

Le gouvernement, systématiquement, ne veut pas publier dans les délais les avis du conseil scientifique et il est obsolète en les publiant trop tard. C'est un gros problème.

Thomas Piketty va dans le même sens : "cette méfiance face à la façon dont on risque d'interpréter telle ou telle donnée, tel ou tel scénario, est une erreur parce qu'il risque vraiment d'alimenter la suspicion. Et on n'a pas besoin de ça actuellement. Il y a des études de l'Institut Pasteur qui, par exemple, essayent de comparer le vrai nombre de contaminations qui, à la veille du confinement au mois de mars, atteignaient peut être 300 000 contaminations / jour, alors qu'aujourd'hui, on est à 15 000 / jour. Certains ont peur de donner ces chiffres en disant 'On risque de croire que ce n'est pas grave aujourd'hui'. Pas du tout : les gens voient bien que la courbe monte de façon exponentielle et peut atteindre ces niveaux très vite. "

Je pense qu'il faut faire confiance à l'intelligence collective sur ces questions et ne surtout pas faire de rétention.