Fruit d'une élaboration longue sous le regard de la Convention climat, le projet de loi "Climat et résilience" a été présenté mercredi en conseil des ministres. Dans quelle mesure ce texte sera-t-il amené à changer les choses, dans notre vie quotidienne ? Dominique Seux et Thomas Piketty en débattent.
Le projet de loi Climat et résilience a été présenté en conseil des ministres mercredi. Il est le fruit d'une élaboration longue, parfois difficile, sous le regard attentif et critique des citoyens de la Convention climat. Le texte contient une grosse soixantaine d'articles : transports, logement, agriculture, industrie….
Dans quelle mesure ce texte va-t-il changer nos manières de faire, de vie, d'habiter ?
Dominique Seux :
Je pense qu'il va commencer à changer les choses très profondément dans nos vies quotidiennes.
On dit parfois que la politique, ça provoque de la chaleur, des frottements, mais assez peu de mouvement. Eh bien, je crois qu'il y a pas mal de mouvements et les choses seront très différentes en 2030 :
- D'ici 2030, il n'y aura plus de chauffage au fioul (et ce sera bien avant).
- D'ici 2030, il est très probable qu'il n'y ait plus de voiture thermique (en tout cas 100% thermique)
- En 2030, il n'y aura plus de passoires thermiques mises en location.
- En 2030, il n'y aura plus de charbon (ça, c'est évident)
- En 2030, la loi indique qu'il faudra que chacun d'entre nous mange 18% de viande en moins.
Au-delà du très concret, un peu de hauteur. De quoi parle-t-on précisément ? En 1990, la France émettait 550 millions de tonnes de CO2 ; en 2020, c'est probablement 400 millions. Il faut passer à 310 millions. C'est faisable.
C'est difficile, mais on est dans un mouvement qui n'a jamais été aussi puissant.
Thomas Piketty nuance et rappelle : "Il y a beaucoup de mesures, je voudrais quand même dire qu'on est dans un ensemble de mesures qui ne remplit pas les objectifs qui avait été fixés. On était normalement sur -40 % par rapport à 1990 ; là, les chiffrages qui ont été faits par le gouvernement dans l'exposé des motifs de son projet de loi ne couvrent absolument pas l'objectif"
Thomas Piketty revient également sur les chiffres donnés par Dominique Seux : "dans tous ces calculs, on ne prend pas en compte les 40% en plus d'émissions importées (c'est-à-dire quand on a envoyé notre pollution en Chine, en Inde, etc.)"
Y a-t-il des vertus à un texte national ?
Thomas Piketty : "La seule façon d'avancer sur le dumping environnemental et le dumping fiscal, on a besoin que chaque pays (à commencer par la France) prenne des mesures unilatérales, mais qui soit aussi incitatives, pour pousser les autres à avancer. Mais vis-à-vis de la Chine ou de l'Inde, par exemple, je pense qu'on ne peut pas attendre l'unanimité européenne."
Il prend l'exemple de la taxe carbone : "Ça fait des années qu'on parle de mettre la taxe carbone aux frontières : il y a un moment, pour le bien de l'Europe et pour faire pour tirer tout le monde vers le haut, il faut avancer et dire "Voilà, dans six mois, si vous n'avez pas un texte européen, nous, on fait ça".
Dominique Seux agrée : "il va y avoir un ralentissement des échanges, et l'Europe va finir par faire cette taxe carbone (elle est dans le programme de la Commission !)
Sur les questions climatiques, les esprits ont complètement changé et les acteurs sont en train de se mettre en place
Les manques de cette loi
Les manques relevés par Thomas Piketty :
- Le manque d'ambition sur la rénovation thermique du bâtiment
Thomas Piketty : "Là, on aurait vraiment dû faire davantage. Il n'y a que 7% des logements qui vont être concernés. […] On se limite aux logements qui sont loués, alors qu'il y a aussi tous les gens qui sont propriétaires et qui occupent un logement qui auraient besoin de soutien financier pour faire la rénovation thermique. Il faut aussi qu'il y ait une obligation avec un soutien financier, les deux ensemble".
- Le manque de remise en cause notre système d'échanges internationaux,
"C'est à dire où on fait des choses complètement folles, on envoie des matières premières, des objets non finis à l'autre bout du monde pour leur rajouter quelque chose, on les re-renvoie là sans prendre en compte les conséquences en termes d'émissions de carbone. Et l'idée qu'il faut attendre l'unanimité en Europe pour faire quelque chose me semble complètement dépassée.
C'est quand même très, très étrange. On dit "quoi qu'il en coûte", on a plein d'argent pour faire des baisses d'impôts sur les entreprises sans aucune contrepartie environnementale d'aucune sorte, et là, pourquoi on ne va pas plus loin ?
Et les 'ratés' relevés par Dominique Seux :
- Les poids lourds : "là, c'est clairement en-dessous de ce qui est nécessaire"
- L'absence d'un système d'évaluation
"Ce qui nous manque, c'est un système d'évaluation, un peu comme l'Insee en économie. On n'a pas les moyens d'avoir très régulièrement des rendus des copies, ou plutôt une évaluation avec des données chiffrées sur tous les paramètres dont on parle maintenant".
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