

L'élection présidentielle aux États-Unis a lieu dans moins de deux semaines. Si la gestion de la crise sanitaire et la situation sociale dans le pays sont les questions qui a occupé la majeure partie des débats, quels programmes économiques Joe Biden et Donald Trump portent-ils ?
Dans onze jours, les Etats-Unis voteront pour élire leur président. C'est la dernière ligne droite de la campagne. Les deux candidats débattaient d'ailleurs une ultime fois cette nuit à la télévision. Quel programme économique porte Donald Trump et Joe Biden ? Cette question se pose évidemment dans le contexte de l'épidémie de la crise sanitaire où il va falloir relancer l'économie des Etats-Unis.
Quid des forces, des idées respectives en présence
Thomas Piketty : "Beaucoup ont reproché à Biden de trop se centrer sur la critique du bilan de Trump sur l'épidémie et parfois d'être un peu un peu mou, un peu trop centriste. Je partage en partie cette critique et, en même temps, je crois qu'il faut quand même commencer par rappeler qu'il y a des vraies différences de programme entre les deux.
Autant Trump a tout misé sur le plan économique, sur la baisse des impôts, sur les plus riches et aussi sur les bénéfices des sociétés. Il faut rappeler que le tournant historique pris par Trump, c'est quand il a baissé le taux d'imposition des bénéfices des sociétés aux Etats-Unis de 35 %. Quand il est arrivé à 21 % pour la première fois, les Etats-Unis suivaient l'Europe qui, paradoxalement, a mené le bal sur la course poursuite à la baisse sur l'impôt sur les sociétés au cours des trente dernières années, là Biden propose de remonter à 28 %, donc pas complètement au point de départ.
Là où Trump a laissé filer le salaire minimum, qui est quelque chose qu'on observe aux Etats-Unis depuis Reagan quasiment où le salaire minimum décroche par rapport au salaire moyen, Biden propose de remonter à 15 dollars par heure ;
Là où Trump a remis en cause l'Obamacare et toutes les régulations environnementales, Biden propose d'étendre la couverture santé des Américains, même si je regrette quand même sur ce point en particulier, son manque de vision, de clarté.
C'est vrai que dans les débats, autant Trump est très vigoureux dans l'affirmation de ses convictions en général, de ses convictions économiques en particulier où il dit qu'il croit dans la concurrence et que l'assurance santé privée va tout résoudre. En face, on a un Biden qui n'a tellement pas envie de se faire qualifier de socialiste que, pour finir, on ne comprend pas toujours très bien où il va alors que sur la santé, quant au coût de l'assurance santé publique étendue sur une plus grande part de la population, on sait que c'est quelque chose qui marche bien en Europe, qui coûte moins cher et qui est plus efficace en termes de santé publique. Par les temps qui courent, c'est le moment ou jamais de porter ce message. Il reste que les différences entre les deux candidats sont considérables".
Dominique Seux : "L'élection ne se jouera pas sur l'économie.
On a bien compris que c'était un référendum anti ou pro Trump et que ce sera une affaire sur le Covid-19
Du côté de Donald Trump, il n'y a pas de surprise, en gros, il veut continuer son programme, il est très vague, on continue des baisses d'impôts, c'est la même chose. Quand, du côté de Biden, il s'est passé l'inverse de ce qui se passe d'habitude avec quelqu'un qui prend de l'âge. Quand vous prenez de l'âge, souvent, vous devenez un peu plus conservateur. Lui, c'est l'inverse, avec les années qui vient, son programme est devenu plus social ou socialiste. Très concrètement, le SMIC à 15 dollars de l'heure. En gros, c'est le niveau français, c'est un plan gigantesque. Et on a vu, cette nuit, cette phrase incroyable où Joe Biden a dit "il faut arrêter le pétrole au Texas". Et évidemment, tous les commentateurs lui disent que c'est peut-être son erreur fondamentale parce qu'il va se mettre à dos tous les Etats pétroliers. Il assume 2 000 milliards, c'est un tournant absolument important.
L'effet majeur de l'élection de Joe Biden, s'il est élu, ce sera le retour dès le lendemain dans l'accord de Paris des Etats-Unis
Rien que pour ça, ça vaut la peine".
Thomas Piketty : "Dans le premier débat, Biden a pris soin de se recentrer en se démarquant du plan de Green New Deal qui avait été porté par toute une partie du Parti démocrate et en disant "Non, moi, mon plan, c'est pas le Green New Deal, c'est le Biden plan" qui est beaucoup plus raisonnable. Et donc, c'est vrai qu'il y a des idées, il reste des différences avec Trump, il a misé sur le fait qu'il allait gagner sur la détestation de Trump, sur son bilan, sur le Covid. Et moi, c'est vrai que je suis quand même encore un peu inquiet, que ça ne lui permette pas de mobiliser forcément les plus jeunes électeurs".
Dominique Seux :
Biden porte le programme le plus à gauche d'un parti démocrate depuis assez longtemps
Thomas Piketty : "Raisonnable, enfin il y a beaucoup d'Américains qui ne votent pas. Je ne sais pas si c'est parce qu'ils trouvent ça trop raisonnable ou pas mais il y a quand même une très faible participation aux Etats-Unis, en particulier des jeunes et des classes populaires. Donc, pourquoi ne viennent-ils pas départager les démocrates et les républicains ? Peut-être parce qu'ils trouvent que les différences ne sont pas suffisamment visibles".
Quid du bilan économique de Donald Trump avant l'épidémie ? Faut-il lui faire d'avoir bien géré l'économie jusqu'à l'épidémie ?
Dominique Seux : 'Sur le plan économique et son bilan est effectivement plutôt bon. Dans la récession-là, l'Europe est à - 8, les Etats-Unis eux vont finir à - 4. Parce que c'est un pays extrêmement Schumpeterien, qui est extrêmement violent. Le taux de chômage aux Etats-Unis au printemps était de 13 %. Qui voudrait du système du taux de chômage américain ? Personne. C'est là l'avantage des filets sociaux européens, français et autres. Ce système est très violent et très efficace. Sur le plan des des revenus de la croissance, oui, mais sur le plan du bilan dans les relations avec la Chine, honnêtement, c'est une inefficacité quasi totale".
Thomas Piketty : "Sur 2020, ce qui a permis d'éviter une immense récession aux Etats-Unis, ce n'est pas le fait qu'on ait laissé exploser le taux de chômage, c'est le fait qu'il y a eu ce soutien d'allocation chômage minimum de 2400 dollars par mois pour les personnes privées d'emploi. C'est ça qu'on n'a pas fait d'ailleurs en France et qui a permis d'éviter la catastrophe. C'est quand même plutôt les démocrates au Congrès qui l'ont poussé que les Républicains.
Sur le bilan pré-covid, je crois qu'il faut quand même rappeler que les dernières années du mandat précédent d'Obama, vous aviez la même croissance et même plus de créations d'emplois que ce qu'il y a eu pendant les trois ans de Trump. Si on compare cela, on ne voit pas un bilan particulièrement formidable. Ce qui a permis à Trump de prolonger le boom et la croissance, c'est aussi cette énorme expansion monétaire, de déversement d'argent. Ça c'est vraiment une vraie question avec Biden, c'est une question aussi pour l'Europe. Est-ce qu'on va continuer dans cette voie ?
Moi, je m'inquiète du fait que c'est vrai que cela permet, d'un côté, de résoudre en partie le problème des dettes publiques. On met sur le bilan des banques centrales une partie croissante des dettes publiques, on ramène le taux d'intérêt à zéro. Donc, on s'endette et, d'une certaine façon, ces dettes détenues par les banques centrales, on n'a plus besoin de les compter dans le total des dettes publiques parce qu'il est très peu probable qu'un jour les banques centrales les remettent sur le marché et en exige le remboursement. Donc, d'un côté, on règle le problème et on pourrait même aller beaucoup plus loin.
Sauf qu'en résolvant ce problème d'une main, on en crée d'autres d'une autre main qui est notamment celui de doper les cours boursiers, les cours immobiliers, pour les personnes qui peuvent emprunter à 0 % et qui arrivent à investir dans les bons placements. J'ai peur qu'on continue dans cette voie parce que c'est vrai que c'est la voie la plus facile, alors qu'à un moment, il va falloir quand même faire un débat politique sur la répartition de l'effort pour repayer cette dette".
Dominique Seux : "Vous vantez encore la distribution de chèques de 1200 dollars - 2400 dollars par mois pour un couple aux Etats-Unis. Ce qui est amusant, c'est que d'une certaine manière, j'ai l'impression que vous préférez ce qui ressemble un peu à de la charité, à du paternalisme, aux systèmes sociaux européens, les systèmes sociaux qu'on a du matin au soir et qui ont été conquis grâce à des luttes sociales, etc. Je préfère largement les systèmes sociaux qui assurent des revenus plus importants que ce chèque versé une fois que ce chèque que vous vantez".
Thomas Piketty : "Vous avez confondu deux politiques : il y a une politique de la réduction d'impôts de 1200 dollars par personne - 2400 dollars par couple et il y a, par ailleurs, les allocations chômage. Ce qui est très différent et qui sont de 600 dollars par semaine - 2400 dollars par mois. J'ai l'impression que vous confondez ces deux politiques qui ont joué un rôle important dans la récession.
Après, est-ce que je préfère l'État providence européen ? Evidemment. J'aimerais beaucoup que Biden pousse dans ce sens, en particulier sur une assurance santé universelle, en étendant l'assurance santé publique américaine. Il faut quand même mentionner une mesure qu'a pris Biden sur la Sécurité sociale américaine qui est intéressante : étendre la cotisation sociale de 12 % qui finance la retraite publique aux États-Unis parce qu'il y a un système fédéral de retraites public qu'on oublie un peu trop souvent, et il étend cette cotisation de 12 % sur les hauts revenus au-delà de 400 000 dollars bien que ça ne donne pas à des allocations retraites. Cela est quelque chose d'intéressant puisque c'est la même cotisation que sur les bas et moyens salaires. C'est quelque chose qui montre aussi une évolution de la philosophie par rapport au financement de la retraite".
Dominique Seux : "Je pense que Trump a complètement sacrifié le long terme, les investissements, les infrastructures et les Etats-Unis, par exemple sur les infrastructures, c'est une catastrophe. Biden a un avantage, il travaille pour le long terme. On a parlé du climat mais les investissements, les dépenses publiques, ça me parait beaucoup plus malin que la politique de Trump, qui est très court-termiste".
Si Biden est élu, pensez-vous qu'il poursuivra la politique commerciale agressive de Trump à l'égard de la Chine ?
Thomas Piketty : "J'espère qu'il définira mieux les contreparties qu'il espère obtenir parce que le problème de Trump, c'était que c'était très confus et très flou. Il brandissait la menace de changer d'avis la semaine suivante à l'agenda et le but des négociations n'était pas clair. Je pense qu'il y a eu des négociations et surtout une politique à avoir en termes de taxe carbone aux frontières vis-à-vis de la Chine. Il faut le faire. Je pense aussi qu'il faut rentrer dans une nouvelle phase d'organisation de la mondialisation où on met des contreparties sociales, fiscales à la poursuite des échanges. Donc, concrètement, un pays qui ferait du dumping fiscal sur l'imposition des profits des sociétés, je pense qu'il faudrait le sanctionner, non pas pour tomber dans le protectionnisme, mais pour, au contraire, inciter à corriger ce défaut. De ce point de vue-là, Biden à nouveau propose de remonter à 28 % le taux d'imposition des bénéfices des sociétés. Il faut se rappeler qu'aux Etats-Unis, ça, c'est uniquement l'impôt fédéral, il y a aussi des taux au niveau état de 10 % donc, on va monter vers 38 %. La France, dans le même temps, était à 33 % au début du mandat et s'oriente vers les 25 %. On faisait la même chose que Trump et on va complètement en sens inverse".
Dominique Seux : "Sur la Chine, Trump a eu cette vertu-là de la montrer du doigt et de dire stop. Est-ce que Biden va continuer ? Il continuera, mais probablement plus mollement. La conclusion, c'est que, pour l'Europe, ça va être plus compliqué car elle pouvait se mettre au milieu etqui, demain, avec un Biden à la Maison Blanche, s'il est élu, essaiera d'aller dans les bras des Etats-Unis et des démocrates. Le front européen quant à lui sera probablement plus divisé qu'il ne l'est aujourd'hui. Donc, ce sera plus compliqué pour l'Europe".
L'équipe
- Production
- Production
- Chronique
- Autre