Bertrand Tavernier : "j'ai partagé avec Scorsese des moments sublimes"

Bertrand Tavernier et François Busnel
Bertrand Tavernier et François Busnel ©Radio France - Anne Audigier
Bertrand Tavernier et François Busnel ©Radio France - Anne Audigier
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A l'occasion d'une journée spéciale consacrée à Martin Scorsese, Bertrand Tavernier évoquait son illustre collègue

Avec

Qui peut parler, d'après vous, d'un grand cinéaste ? Réponse très simple. Un autre grand cinéaste français, né à peu près en même temps que Scorsese à 18 mois d'intervalle, il partage avec lui sa passion pour la cinéphilie ainsi qu'une DVDthèque impressionnante. Il s'est offert le luxe de le faire tourner comme acteur cette fois-ci. Martin Scorsese, rappelez-vous. Nous étions en 1986. Le film s'intitulait Around Midnight. Ce cinéaste français éclectique a exploré à peu près tous les domaines (comédie dramatique, mais aussi films historiques, en passant par le polar). Point commun de ces films peut-être, une certaine aversion pour l'injustice, quelle que soit sa forme.

Dans la constellation des passionnés de cinéma devenus metteurs en scène, Bertrand Tavernier se distingue par la persistance d'une cinéphilie qui ne l'aveugle pas et un désir de comprendre les réalités du monde, passant de la fiction au documentaire avec une égale curiosité qui le rend inclassable…

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Érudit, révolté par les injustices et interrogeant sans cesse son art, cet agitateur d'idées est aussi un spectateur insatiable, toujours au service des auteurs. Scénariste et cinéaste (Le Juge et l'Assassin , Coup de torchon, La Vie et rien d'autre , Capitaine Conan , Ça commence aujourd'hui …), il a marqué un demi-siècle de cinéma. Il se raconte, évoquant sa famille, ses films et ses grandes rencontres : Aragon, Sautet, Schlöndorff, Melville, Chabrol, Godard, Rohmer, Rivette, Ford, Walsh, Aurenche, Soupault, Eastwood, Scorsese, Tarantino, Huppert, Noiret et bien d'autres…

La première rencontre avec Martin Scorsese

"La première fois, c'était pour Mean Street (1972). C'était un film qui nous avait marqué, mon associé et ami Pierre Rissian, nous étions attachés de presse indépendants à l'époque et nous avons immédiatement décidé de défendre ce film. Nous prenions les films que nous aimions à ce moment-là. C'était l'un des derniers films sur lequel j'ai travaillé, parce qu'après je commençais moi-même ma carrière de metteur en scène. Je me souviens du choc de Mean Street. C'était incroyable.

Il y a d'abord dans ce film la découverte d'acteurs incroyables, modernes : Robert De Niro, Harvey Keitel. Toute une série de comédiens. La découverte d'un milieu, les Italiens-Américains. La manière de revisiter un genre et de lui donner un côté survolté. Il y a une énergie dans le film qui, tout d'un coup, nous renvoyait à des films noirs qu'on avait adorés, comme En quatrième vitesse de Robert Aldrich. Il y avait ce ton là. Sauf que tout d'un coup, ce n'était pas simplement une intrigue nébuleuse, labyrinthique, dans laquelle on se perdait. On se perdait dans un milieu social imprégné de catholicisme. Ça, c'était aussi une chose rare dans un cinéma américain qui est plutôt marqué par le protestantisme.

Scorsese a amené quelque chose qui est important, c'est sa cinéphilie extravertie.

Il y a une façon aussi de parler de problèmes de drogue, de corruption avec une façon de traduire dans la mise en scène, l'énergie et l'instabilité des personnages. Une manière de filmer qui a été admirablement décrite par Michael Powell et qui s'applique à tout un cycle de films de Scorsese qui vont jusqu'aux Affranchis, voire même à Casino. Il parle d'un "Kurosawa de la 42ème Rue". Je trouve que c'est formidable. Il y a ce bouillonnement qu'on trouve dans certains films de Kurosawa. Ce bouillonnement en même temps stylistique. Et puis, ce sens de la violence, et quand même un ancrage précis : la 42ème rue."

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Les acteurs

"Tous les grands metteurs en scène ont adoré les acteurs avec qui ils ont travaillé. Je ne vois guère, dans les metteurs en scène immense, que Josef von Sternberg qui passe son temps à dénigrer les gens avec qui il a travaillé. Mais John Ford, même s'il ne l'exprimait pas, avait un amour, une passion pour John Wayne, pour Henry Fonda. 

On ne peut pas ne pas avoir d'amour pour Henry Fonda quand on le voit dans La poursuite infernale

Donc, je pense que les grands metteurs en scène ont toujours adoré les acteurs. Ils pouvaient ne pas le traduire sur le plateau. Ils pouvaient se comporter de manière très dure, violente. John Wayne raconte toutes les manières dont John Ford le ridiculisait ou l'attaquait ou se moquait de lui, mais néanmoins, quand il s'agissait de le filmer, de le mettre en valeur, c'était autre chose.

Les metteurs en scène qui n'aiment pas les acteurs, je n'y crois pas. Ou alors, comme le dit Truffaut, les gens qui se plaignent des acteurs qu'on leur impose, ces gens-là, je pense qu'ils ne feront pas une grande carrière parce qu'il y a forcément un manque de sincérité. Les gens qui disent 'on m'a imposé une vedette que je ne voulais pas', ça ne marche pas, ça."

Bertrand Tavernier et Martin Scorsese lors de la sortie "d'Hugo Cabret"
Bertrand Tavernier et Martin Scorsese lors de la sortie "d'Hugo Cabret"
© Getty

Bertrand Tavernier sur France Inter

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