Allemagne : l'extrême-droite de retour derrière le mur

Le leader de l'AfD en Saxe Andreas Kalbitz entouré par les journalistes après la percée spectaculaire de son parti
Le leader de l'AfD en Saxe Andreas Kalbitz entouré par les journalistes après la percée spectaculaire de son parti ©AFP - Gregor Fischer / DPA / dpa Picture-Alliance
Le leader de l'AfD en Saxe Andreas Kalbitz entouré par les journalistes après la percée spectaculaire de son parti ©AFP - Gregor Fischer / DPA / dpa Picture-Alliance
Le leader de l'AfD en Saxe Andreas Kalbitz entouré par les journalistes après la percée spectaculaire de son parti ©AFP - Gregor Fischer / DPA / dpa Picture-Alliance
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Dans les provinces d’ex Allemagne de l’Est, Saxe et Brandebourg, l’AfD d’extrême droite espérait l’emporter hier. Elle n’arrive que deuxième. Mais ne nous y trompons pas. C’est en fait un succès majeur pour l’AfD, un ultime avertissement sans frais pour les partis de gouvernement. C'est le "monde à l'envers".

Evidemment, on pourrait être tenté de dire : ah les médias ont encore crié au loup, vous voyez bien, ce n’était pas la peine de s’affoler, la victoire des extrémistes n’a pas eu lieu. Sauf que si : les deux partis de gouvernement, la CDU de centre droit et le SPD de centre gauche ont peut-être sauvé les meubles, mais ça ne doit pas nous cacher l’essentiel. 

La poussée de l’extrême droite dans ces deux Länder d’ex Allemagne de l’Est, est énorme. C’est une victoire.

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En Saxe, au Sud, près de la frontière avec la République Tchèque, l’AfD (Alternative für Deutschland) triple son score par rapport à 2014 : plus de 27% ! Dans le Brandebourg, autour de Berlin et près de la frontière polonaise, l’AfD double son score : plus de 23% ! Le tout avec une participation élevée, donc une vraie légitimité démocratique.

Dans certaines circonscriptions de ces deux régions, l’extrême droite approche même les 40%.

Cette poussée spectaculaire se fait d’abord au détriment du parti de gauche radicale Die Linke, qui s’effondre.  Autrement dit, l’extrême droite est devenue, en tous cas en ex Allemagne de l’Est, LE parti protestataire qui exprime la colère des classes populaires.

Il y a quelques mois, l’AfD semblait à la peine, en proie à des divisions internes, à des soupçons de corruption. Aujourd’hui, ses dirigeants ont le droit de dire comme ils l’ont fait hier soir : « Ça peut difficilement aller mieux ».

A ce rythme-là, la prochaine fois, ils gagneront.

Une ligne dure révisionniste et xénophobe

En plus on parle d’une extrême droite vraiment radicale : en ex Allemagne de l’Est, l’AfD ne sert pas un discours tiède qui chercherait la normalisation. Il s’agit bien d’une extrême droite dure.

Ses principaux leaders, Andreas Kalbitz et Jörg Urban, ont pour l’un fréquenté longtemps les groupuscules néo-nazis, pour l’autre les mouvements islamophobes. Ils sont directement liés à une organisation ultra radicale, Der Flügel (ça veut dire L’aile), qui est placée sous surveillance des services du renseignement intérieur allemand.

Son patron Björn Höcke ne cache d’ailleurs pas sa xénophobie et son révisionnisme. Il y a 2 ans, il avait qualifié le Mémorial de la Shoah de « monument de la honte » et il estime que l’Allemagne devrait, je cite, « revoir à 180 degrés » sa culture mémorielle. Sous-entendu : ce n’était pas si mal sous les Nazis.

D’ailleurs, à la marge de cette poussée d’extrême droite, les groupuscules néo-nazis, NSU, Combat 18, prospèrent à nouveau : 25.000 sympathisants, dont la moitié considéré comme des éléments violents.

Tout aussi inquiétant : dans plusieurs municipalités d’ex Allemagne de l’Est, le cordon républicain ne tient pas. Autrement dit, localement, des élus de la CDU font déjà alliance avec l’extrême droite. Le patron des chrétiens démocrates en Saxe, Michael Kretschmer, a d'ailleurs des positions assez proches de l'AfD sur des sujets comme l’opposition au mariage homosexuel ou la nécessité d’une alliance avec la Russie. Donc oui c’est inquiétant.

Un sentiment de déclassement 

Alors c'est vrai, une telle poussée de l’extrême droite, on l’a déjà vue ailleurs en Europe, en France, en Italie, sauf que, pardonnez-moi si c’est un cliché, mais on parle de l’Allemagne: non seulement la première économie européenne, mais surtout le passé que l’on connait. Donc l’enjeu symbolique est plus fort que nulle part ailleurs.

Si l’Allemagne n’est plus vaccinée contre le poison d’extrême droite révisionniste et antisémite, le danger est majeur.

En même temps, les causes sont connues. De quoi s’agit-il ? Du retour du Mur de Berlin. Ou plutôt de la persistance du Mur.

La population d’ex Allemagne de l’Est, en particulier dans les petites villes et les campagnes, vote en masse pour l’extrême droite, parce qu’elle se sent méprisée, déclassée, considérée comme une population de 2nde zone.

Moins de travail, moins de lignes de chemin de fer, moins d’hôpitaux, moins de grandes entreprises, moins de tout par rapport à l’Ouest du pays. Et des managers qui généralement sont tous catapultés de l’Ouest. 

Dans deux mois, début novembre, on fêtera les 30 ans de la chute du Mur, mais en fait la réunification s’est arrêtée en chemin. Feu Elie Wiesel écrivait « Je crains ce qu’il y a derrière le Mur ». Il avait raison.

Si la réunification allemande n’est pas achevée, le risque est grand de voir « la bête immonde » fasciste… resurgir.

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