Après avoir voté pour la 4ème fois en 4 ans, l’Espagne semble à nouveau ingouvernable, après un scrutin marqué par la poussée de l’extrême droite. Mais ce n'est pas un cas particulier : l’Espagne est révélatrice de la crise de la démocratie, il faut donc la regarder avec attention. C'est "le monde à l'envers".
Pedro Sanchez a joué. Et il a perdu. Je vous l’accorde le parti socialiste du premier ministre espagnol sort en tête du scrutin avec 120 sièges.
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Mais il est en léger recul.Et surtout, il semble encore moins en capacité qu’avant, de former une coalition de gouvernement. Avec un paysage politique de plus en plus éclaté, où l’extrême droite de Vox est devenue la 3ème force politique du pays (52 sièges). Il y a encore 4 ans, l’Espagne vivait toujours au rythme du bipartisme : un coup la droite avec le parti populaire, un coup la gauche avec le parti socialiste.
Aujourd’hui, le pays compte pas moins de 6 forces politiques significatives, incapables jusqu’à présent de trouver un accord entre elles. Donc il n’y a aucune majorité viable. A fortiori avec un système électoral proportionnel.
La longue liste des pays ingouvernables
Le bipartisme a explosé en vol. Et pas seulement en Espagne. Un peu partout en Europe, le choix s’est longtemps limité à l’alternative entre un parti conservateur et un parti progressiste. C’est fini : les paysages politiques sont fragmentés.
L’autre exemple flagrant, c’est évidemment le Royaume-Uni : aucun des deux partis traditionnels, Tories et Labour, n’a plus de majorité à lui seul. Avec pour conséquence, on l’a vu, une incapacité consternante du Parlement britannique à s’entendre sur le Brexit. En Italie, l’instabilité est de mise, même si en ce moment l’accord tient entre le parti démocrate et le mouvement 5 étoiles. En Israël, les majorités sont devenues introuvables. Et même en Allemagne, la Grande coalition CDU SPD est à bout de souffle. Là encore, les partis habituels de gouvernement sont en recul, voire en chute. Le paysage compte désormais 5, voire 6 partis.
L’instabilité menace la démocratie représentative.
La radicalité entretenue par les réseaux sociaux
Il y a des spécificités dans chaque pays, on ne va pas le nier : la question de la Catalogne en Espagne, le bazar du Brexit au Royaume-Uni. Mais il y a des points communs, oui, au moins deux.
Le premier, c’est ce sentiment exprimé par de nombreux électeurs, un peu partout en Europe que, dans toutes ces démocraties représentatives, le pouvoir a été confisqué par une élite qui se répartit les portefeuilles. Avec pour seule préoccupation des intérêts individuels, des logiques de parti, très éloignés de l’intérêt général.
Ce risque, il est identifié depuis longtemps : il y a une « forme de servitude » dans la démocratie représentative, soulignait Jean-Jacques Rousseau il y a deux siècles et demi. Aujourd’hui, ce sentiment chez les électeurs est conforté par la crise économique, et conforté par l’envie d’un pouvoir plus horizontal, à l’ère où les réseaux sociaux permettent l’interpellation de tous par tout le monde.
Le deuxième point commun est encore plus directement lié aux réseaux sociaux : c’est l’essor de la radicalité, le refus du dialogue. Les réseaux sociaux confortent chacun dans ses certitudes, ils poussent à la formule assassine, ils enferment dans un cercle fermé avec celles et ceux qui sont d’accord avec vous.
Sur le plan politique, ça se traduit par quoi ? D’une part la poussée des partis les plus radicaux. D’autre par le refus du compromis, qui rend donc très difficile la constitution de coalitions de gouvernement.
La nécessité du compromis
Les solutions ne sont pas évidentes.
Il y a bien une solution de forme, par le système électoral. Donner une grosse prime au parti qui arrive en tête. En gros le système français. A l’opposé de la proportionnelle si vous voulez. Sauf que ça reste un système Inéquitable. Et surtout, il y a un risque majeur : le jour où un parti extrême sort en tête, même s’il n’a que 30% des voix, il peut se retrouver avec tous les pouvoirs.
Il reste la solution de fond : instaurer ou restaurer une culture du dialogue et du compromis entre partis politiques. C’est ce qui, jusqu’à présent, a toujours fait la force de l’Allemagne, et lui permettra peut-être demain, de composer des coalitions new look. C’est ce qui manque à l’Espagne. Les deux partis qui auraient pu s’allier avec les socialistes, l’un de gauche Podemos, l’autre de centre droit Ciudadanos, viennent d’ailleurs tous deux de reculer dans les urnes.
Ça a peut-être un lien avec leur refus du compromis. Sans recherche du dialogue, et donc d’un intérêt général médian, le risque est énorme de voir la colère grandir contre les gouvernants. Et de voir s’affirmer l’envie d’un dirigeant fort pour « mettre de l’ordre là-dedans ».
Si elle n’a plus d’aptitude au compromis, la démocratie représentative se fait hara kiri.
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