La Cour suprême britannique et le Brexit: la revanche des institutions

Un manifestant déguisé en Boris Johnson "coupable" devant la Cour Suprême britannique
Un manifestant déguisé en Boris Johnson "coupable" devant la Cour Suprême britannique ©AFP -  WIktor Szymanowicz / NurPhoto
Un manifestant déguisé en Boris Johnson "coupable" devant la Cour Suprême britannique ©AFP - WIktor Szymanowicz / NurPhoto
Un manifestant déguisé en Boris Johnson "coupable" devant la Cour Suprême britannique ©AFP - WIktor Szymanowicz / NurPhoto
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Face à la confusion politique de ces dernières semaines qui donnait l'impression d'une démocratie déboussolée, la décision de la Cour Suprême britannique sur le Brexit est majeure et envoie un message partout dans le monde: le retour de la boussole des institutions. C'est "le monde à l'envers".

Quelle claque ! Mais quelle claque !!! Quelle gifle phénoménale pour Boris Johnson ! Que disent au Premier ministre britannique les 11 magistrats suprêmes, à l’unanimité : votre décision de suspendre le Parlement pendant 5 semaines, « est illégale, elle touche aux fondamentaux de la démocratie, elle est nulle et non avenue ». Boum !

Disons-le tout net : cette façon de remettre BoJo à sa place a quelque chose d’assez jouissif. Mais ça va bien au-delà de la petite histoire. C’est une décision majeure qui remet de l’ordre dans la maison Démocratie. Elle a valeur d’exemple bien au-delà de la Grande-Bretagne.

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Prenons un peu de distance. De quoi s’agit-il ?

De la célèbre séparation des trois pouvoirs :

-         Exécutif (gouvernement ou chef d’Etat),

-         Législatif (parlement)

-         Judiciaire (les juges). 

Cette séparation c’est la clé de voûte de la démocratie théorisée par les philosophes des Lumières, Locke, Montesquieu.

En l’occurrence, à Londres, le pouvoir judiciaire vient de recadrer le pouvoir exécutif et sa tentation de passage en force. 

Le juges ont pris la main, vu que le Parlement (le pouvoir législatif) est aux abonnés absents tant il est divisé. C’est d’autant plus spectaculaire que dans le cas britannique, il n’y a pas de Constitution écrite ; tout est tacite. Ce 24 septembre 2019 va donc sans doute rester dans les manuels d’Histoire constitutionnelle chez nos voisins.

Le troisième pouvoir, le judiciaire, vient de ranger la maison et de dire : la loi s’impose à tous, même au premier ministre. Les juges vont d’ailleurs peut-être faire la même chose en Israël s’ils confirment les poursuites contre Netanyahu. 

La revanche des institutions aussi en Italie

Cet épisode montre combien les institutions sont le socle de la démocratie.

Prenons un autre exemple récent : l’Italie. Là aussi, ce sont bien les institutions qui ont résisté face à la tentative de coup de force de Matteo Salvini le mois dernier. 

Le leader de l’extrême droite avait fait exploser la coalition au pouvoir en misant sur de nouvelles élections. Le président de la République, le président du Conseil, les Parlementaires dans leur majorité se sont mis en travers. En invoquant les… institutions : le Parlement n’a pas à être dissous si une majorité peut être constituée.

En Italie, le pouvoir législatif vient donc de barrer la route aux tentations d’une partie du pouvoir exécutif.

Ce sont aussi les institutions qui permettent à un pays comme l’Espagne de continuer à fonctionner, malgré les élections à répétition.

Une chose frappe : à chaque fois, la tentation de la dérive autoritaire vient de l’exécutif, gouvernement, premier ministre, chef d’Etat. La tentation de tout décider tout seul, en mettant au pas le Parlement et les juges. C’est précisément ce qui menace dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie.

Donc oui, les juges britanniques viennent de rendre un fier service à la démocratie. 

La dictature des réseaux sociaux et la tentation de l'homme fort

De là à dire que la démocratie est sauvée, on est loin du compte. C’est sauvé pour ce coup-ci.

Mais le fond de sauce n’a pas changé : les facteurs de confusion sont toujours là. Quels sont ces facteurs ?

Les réseaux sociaux continuent d’exercer leur dictature : celle de l’immédiateté, celle de la primeur à celui qui parle le plus fort et en dernier. C’est sur cela que misent des hommes comme Salvini en Italie. L’offre politique est éclatée, plus déboussolée que jamais. Les repères classiques (gauche / droite, conservateurs / progressistes) sont devenus flous. Les réseaux sociaux, là encore, alimentent des logiques intolérantes, quasiment de secte (chacun dans son coin avec ses amis).

La quête du consensus n’est plus d’actualité.

Et c’est comme ça que la démocratie se tire une balle dans le pied : il n’y a plus de majorités, donc les Parlements deviennent faibles, donc ça devient ingouvernable, et la tentation de l’homme fort apparait : remettre son destin entre les seules mains de l’exécutif. 

C’est toujours la même histoire, parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et le pouvoir judiciaire ne sera peut-être pas toujours là pour résister.

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