

427 morts, 20.600 personnes contaminées, 27 pays touchés. C’est le dernier bilan de l’épidémie de coronavirus. La facture commence à être élevée pour la Chine : il y a bien sûr le prix humain, le prix économique. Mais la facture la plus élevée est surtout d’ordre symbolique. C'est le monde à l'envers.
Pékin est fâché. Et à dire vrai on peut le comprendre. Fâché contre l’ampleur de la réaction internationale. Le porte-parole de la diplomatie chinoise accuse même les Etats-Unis, je cite, de « semer la panique ».
Comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou Israël, les Etats-Unis ont interdit leur sol à tout étranger ayant séjourné récemment en Chine. La Russie a fermé sa frontière terrestre avec son grand voisin. Les Chinois sont interdits de séjour aux Philippines, etc. Et oui, tout cela peut sembler excessif, disproportionné. Puisqu’on est encore loin d’une pandémie mondiale : un seul mort en dehors des frontières chinoises pour l’instant.
Ajoutons à ce paysage des discriminations en série dans plusieurs pays contre les personnes d’origine chinoise voire globalement d’origine asiatique. C’est la porte ouverte à tous les excès et dérapages racistes, en particulier sur les réseaux sociaux. On en a recensé un peu partout : en Indonésie, en Australie, en Europe. Ici des étudiants chinois sont bloqués à l’entrée des cours, là des enfants aux traits asiatiques sont bousculés dans les cours de récréation. Le grand n’importe quoi.
C’est à peine si on ne voit pas ressurgir le vieux fantasme du « péril jaune ». Alors ne parlons même pas d’une compassion internationale avec les malades ou les familles de victimes en Chine. On en est très loin. C’est pourtant généralement le cas devant une crise humanitaire. Pas cette fois. La question c’est donc pourquoi. La peur de la maladie n’explique pas tout. Et la désignation de boucs-émissaires comme souvent dans les épidémies ne suffit pas davantage à expliquer le phénomène.
Un retour de balancier pour la puissance chinoise
En fait, il y a sans doute quelque chose de l’ordre d’un retour de balancier contre la Chine. C’est plus ou moins conscient : il y a comme un retour symbolique à l’envoyeur. Amis Chinois, vous êtes devenus puissants, trop puissants. Il y a un prix à payer.
Soit dit en passant, il y a une ironie de l’Histoire : la Chine est victime, de la part du reste du monde, de la discrimination, de la quarantaine, qu’elle impose elle-même, en interne, à la région du Hubeï, berceau du virus. Pékin est comme pris à son propre jeu.
Et oui, on ne peut pas s’empêcher d’y voir un effet balancier, face à une Chine devenue très puissante en une dizaine d’années. Puissance économique d’abord : 35% de la croissance mondiale à elle seule, usine du monde, elle fait peur ; d’autant qu’elle pratique l’expansionnisme via son projet des « nouvelles routes de la Soie ». Il est d’ailleurs frappant de constater que plusieurs pays partenaires de ce projet, par exemple l’Italie, sont parmi ceux qui prennent les mesures les plus strictes contre les touristes chinois.
Et puis cette puissance chinoise est aussi militaire, diplomatique, en particulier en zone Pacifique. Sans compter le poids démographique de ce 1 milliard 400 millions d’habitants. L’image fantasmagorique de l’invasion potentielle est alors prompte à ressurgir. A fortiori dans certains pays africains, où la présence chinoise ne se fait pas sans heurts.
Ces réactions « anti chinoises » sont excessives, en bonne partie irrationnelles, mais elles sont proportionnelles à l’essor ultra rapide de la puissance chinoise tous azimuts.
De la séduction chinoise à la menace chinoise
Donc en fait ce dont pâtit la Chine, c’est en grande partie d’un problème d’image ! C’est là où je veux en venir : c’est bien un enjeu de soft power. Un déficit de puissance par la séduction, ce « soft power », que les Etats-Unis ont si bien cultivé au 20ème siècle.
Et ces dernières années, la Chine s’y est précisément attelée à son tour. En cherchant à développer une image séduisante qui mélange tradition et modernité. Côté tradition : un mélange de bébé panda, de yoga et de fleurs de lotus, de JO de Pékin et de films de kung-fu, sans oublier la sagesse de Confucius. Côté modernité : les nouvelles technologies, des téléphones Huawei à l’appli Tik Tok.
Sauf que là, avec le coronavirus, ce mélange revient en boomerang avec ses mauvais aspects. Côté tradition : la dimension moyenâgeuse d’un virus incontrôlé dans un système de santé vulnérable. Côté modernité : l’autoritarisme d’un système de surveillance généralisé de la population et de contrôle de l’information.
C’est mauvais pour l’image de la Chine à l’extérieur de ses frontières. Et aussi à l’intérieur où l’illusion de la grande harmonie sociale chère au pouvoir en prend un coup sur la carafe. En quelques jours, à tort ou à raison, le coronavirus est en train de ruiner une patiente construction d’image et de communication de la part de Pékin.
La Chine redevient perçue d’abord comme une menace. Patatras le soft power !
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