10 ans après la chute de Ben Ali, et si les printemps arabes refleurissaient ?

La place Tahrir au Caire, symbole du soulèvement en Egypte il y a 10 ans (photo de droite) et aujourd'hui (image précise en novembre 2020)
La place Tahrir au Caire, symbole du soulèvement en Egypte il y a 10 ans (photo de droite) et aujourd'hui (image précise en novembre 2020) ©AFP - Khaled DESOUKI, Pedro UGARTE / AFP
La place Tahrir au Caire, symbole du soulèvement en Egypte il y a 10 ans (photo de droite) et aujourd'hui (image précise en novembre 2020) ©AFP - Khaled DESOUKI, Pedro UGARTE / AFP
La place Tahrir au Caire, symbole du soulèvement en Egypte il y a 10 ans (photo de droite) et aujourd'hui (image précise en novembre 2020) ©AFP - Khaled DESOUKI, Pedro UGARTE / AFP
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Il y a 10 ans, le 14 janvier 2011, c’était la chute du président Ben Ali en Tunisie, premier résultat politique tangible des soulèvements arabes.10 ans plus tard, les espoirs nés à l’époque semblent retombés, la chape de plomb règne.Mais c’est trompeur : les "printemps" peuvent revenir. C'est le monde d'après.

Au premier coup d’œil, on se dit : non seulement ce n’est plus le printemps, mais c’est même carrément l’hiver. Échec sur toute la ligne. L’inventaire des pays qui se sont soulevés en 2011 donne froid dans le dos. On a même l’impression d’une régression.

Le pire, c’est la Syrie : 10 ans d’une guerre sanglante, près de 400.000 morts, plus de 5 millions de réfugiés, victimes de la sauvagerie cumulée du régime de Bachar al Assad et des groupes jihadistes islamistes. L’horreur.

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L’Egypte est étouffée par le régime militarisé et ultra répressif d’Abdel Fatah al Sissi qui arrête les opposants et censure la presse : c’est encore pire que sous Moubarak, le raïs renversé en 2011.

Continuons :

  • Bahreïn, seule monarchie du Golfe touchée par la contestation en 2011, a été rapidement reprise en main par l’Arabie Saoudite ; 
  • La Libye est plongée dans le chaos ;
  • Le Yémen est ravagé par la guerre, et par une crise humanitaire épouvantable.

Partout, c’est la mort, la guerre ou la répression.

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Seule la Tunisie tire à peu près son épingle du jeu. Et encore : plusieurs réformes sont restées au milieu du gué. Du coup aujourd’hui, l’une des personnes les plus populaires du pays, c’est Abir Moussi, ancienne cadre du régime de Ben Ali. C’est tout dire.

Conséquence : cet inventaire édifiant alimente évidemment la théorie selon laquelle le monde arabo-musulman serait incapable d’échapper à l’autoritarisme et à l’obscurantisme.

Un nouvel élan de contestation en 2019

Alors pourquoi le printemps reviendrait-il ?

D’abord, il n’est jamais tout à fait parti. En fait, il est déjà revenu. Le slogan « Thawra ! » (révolution) est réapparu en 2019 et en 2020, dans d’autres pays arabo-musulmans que ceux touchés par le soulèvement de 2011 :

  • Le Soudan où le pouvoir militaire d’El Bechir a été renversé ; 
  • L’Algérie, bien sûr, avec le soulèvement du Hirak, seulement freiné par la pandémie, et qui a quand même obtenu le départ de Bouteflika ; 
  • Le Liban secoué par des protestations en série ; 
  • La Jordanie, l’Irak, le Maroc, tous touchés par des manifestations.

Et il est probable que ça continue parce qu’à moyen terme, les mêmes causes produisent les mêmes effets. 

Les mêmes causes économiques d’abord : chômage, pauvreté, flambée des prix, le tout sur fond de baisse des cours du pétrole et de démographie souvent galopante avec beaucoup de bouches à nourrir. Les régimes autoritaires sont menacés dès l’instant où ils n’ont plus les moyens d’acheter la paix sociale.

Les mêmes causes politiques ensuite : la soif de liberté est toujours là, avec des femmes en première ligne pour réclamer plus de droits.  Et une profonde aspiration démocratique: selon une enquête de l’institut Arab Barometer menée l’an dernier dans 6 pays arabo-musulmans, 75% des populations estiment que la démocratie est le meilleur système.

La cocotte-minute est donc à nouveau en train de bouillir, et ça finira par exploser à nouveau, en Égypte par exemple.

Le facteur Covid et le facteur Biden

Donc la question n’est pas de savoir si mais quand ! Et deux facteurs conjoncturels qui peuvent accélérer les choses. Ces deux facteurs sont liés aux deux événements dominants de l’actualité.

La premier, c’est la pandémie de Covid. Dans un premier temps, elle a surtout servi d’argument, voire d’alibi, aux régimes autoritaires pour interdire les rassemblements et donc imposer une chape de plomb sur la contestation. Mais dans un deuxième temps, ça peut se retourner, puisque l’épidémie accroit les difficultés économiques et sociales, la pauvreté, les inégalités. Elle alimente donc la colère. Les réseaux sociaux en témoignent, dans plusieurs pays, malgré la répression croissante de la Toile.

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Le deuxième, c’est le changement politique aux États-Unis. L’équipe Biden affiche un profil nettement plus progressiste que l’équipe Trump : Antony Blinken (futur patron de la diplomatie), Linda Thomas Greenfield (future représentante à l’ONU), William Burns (futur chef de la CIA) ont tous, dans le passé, défendu les printemps arabes et manifestent de l’intérêt pour les droits de l’homme.

Ça peut donc agir comme un stimulus, un déclencheur. Et désamorcer au passage ce sentiment un peu aigre que les Occidentaux préfèrent les régimes autoritaires au Moyen-Orient : parce qu’ils sont plus stables, se présentent comme des remparts contre le terrorisme et nous achètent plus d’armes.

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