5 ans après, la crise des migrants est devenue invisible

Des migrants transférés samedi 29 août sur le port de Lampedusa après avoir été secours par le navire Louise Michel
Des migrants transférés samedi 29 août sur le port de Lampedusa après avoir été secours par le navire Louise Michel ©AFP - Mauro Seminara / AFP
Des migrants transférés samedi 29 août sur le port de Lampedusa après avoir été secours par le navire Louise Michel ©AFP - Mauro Seminara / AFP
Des migrants transférés samedi 29 août sur le port de Lampedusa après avoir été secours par le navire Louise Michel ©AFP - Mauro Seminara / AFP
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Le 31 août 2015 Angela Merkel ouvrait les portes de l’Allemagne aux migrants, avec la formule Wir schaffen das, on y arrivera. On était en pleine crise des migrants : plus d’un million 300.000 demandes d’asile en Europe. 5 ans plus tard, le sujet est sorti des radars, comme s'il n'existait plus. C'est le monde d'après.

En fait, le sujet existe toujours.  Mais il est devenu invisible. C’est ça le fait nouveau. Regardons d’abord à quel point il existe.

Au niveau mondial, le nombre de déplacés a atteint 79 millions de personnes l’an dernier, un niveau sans précédent. Chiffre de l’ONU. A l’échelle européenne, on a dénombré l’an dernier 676.000 demandes d’asile. Alors je vous l’accorde c’est 2 fois moins qu’en 2015, mais ça reste très élevé, et le chiffre est en hausse par rapport à 2018. Les arrivées continuent en particulier par l’Est de la Méditerranée, vers la Grèce. Les camps de réfugiés demeurent surpeuplés dans les îles grecques, en particulier celui de Moria à Lesbos.

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Et ça se dégrade aussi désormais, depuis le début de l’été, en Méditerranée centrale, en particulier à Lampedusa : 1200 réfugiés pour 200 places. 370 personnes ont débarqué rien que ce week-end. Les migrants arrivent désormais sur de toutes petites embarcations, mais très nombreuses, en provenance de Tunisie.

Enfin dernier indicateur : le nombre de morts. 514 depuis le début de l’année en Méditerranée. C’est beaucoup moins qu’il y a 5 ans. Mais cela demeure la route migratoire la plus meurtrière au monde. Pour le dire en allemand, ce n’est pas le Wir schaffen das d’Angela Merkel, mais plutôt Wir schaffen nichts. On n’y arrive pas.

L'Europe enlisée

Ce n’est pas fini pour des tas de raisons. D’abord parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les réfugiés proviennent essentiellement des pays en guerre. Et comme les guerres se poursuivent, on continue de voir fuir les Syriens, les Afghans, les Irakiens. Et s’y sont ajoutés les Vénézuéliens.

Ensuite, l’Union Européenne n’a rien réglé du tout. En 5 ans, la seule décision à avoir été vraiment prise et en partie mise en application, c’est le renforcement de Frontex, le dispositif de sécurité aux frontières. Pour le reste, l’Europe est toujours embourbée:

  • Incapable d’établir et de faire respecter une « clé de répartition » du fardeau migratoire entre les différents pays.
  • Incapable d’harmoniser les politiques d’asile entre ses différents membres : la tendance est plutôt au sens opposé, chacun fait ses lois dans son coin.
  • Incapable de former correctement les garde-côtes en Libye.
  • Incapable même d’assurer une situation sanitaire correcte dans les camps, a fortiori depuis le début de l’épidémie de Covid.

En fait, l’Europe s’est surtout concentrée sur le fait, passez-moi l’expression, de « refiler le bébé » à la Turquie, qui se retrouve aujourd’hui avec 4 millions de réfugiés sur son sol. La commission européenne promet un nouveau plan sur le sujet courant septembre. On a le droit d’être sceptique.

Un trou noir de l'information

Alors pourquoi le sujet, malgré son acuité persistante, est-il devenu invisible ? Là encore, il y a plusieurs raisons.

Il y a d’abord un facteur simple : nous sommes face à une sorte de « trou noir » de l’information. En grande partie parce que les ONG de secours aux migrants qui embarquaient des journalistes, ont jeté l’éponge. Successivement, leurs bateaux ont fait l’objet d’immobilisation administrative : Aquarius, Ocean Viking, Sea Watch 3. Il ne reste que le Sea Watch 4, soutenu par l’Eglise Protestante allemande, et depuis peu le Louise Michel, affrété par le graffeur Banksy. Du coup, même les naufrages passent inaperçus : par exemple mi-août, un navire avec 65 personnes à bord a littéralement disparu.

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Ajoutons que la question des migrants constitue évidemment une patate chaude politique, et que les drames successifs en Méditerranée ont fini par susciter une forme d’accoutumance en Europe. C’est cynique mais c’est ainsi.

Et pour enfoncer le clou, est arrivée l’épidémie de Covid. Le sujet a installé une autre hiérarchie des priorités : pour le dire brutalement, se sauver soi-même avant que de songer à sauver des migrants. Sans compter une conséquence concrète : la fermeture des frontières.

Mais il y a un hic, et un sérieux : l’impact probable de l’épidémie, c’est d’accroitre encore, par effet en chaine, les difficultés économiques des pays les plus pauvres, et donc de déclencher une nouvelle vague migratoire.

Le sujet, c’est inévitable, redeviendra visible. La question est juste de savoir quand.