Au Liban, le risque du retour à la case départ

Des manifestants à Beyrouth contre l'aveuglement des dirigeants politiques libanais lors de la visite d'E Macron le 1er septembre
Des manifestants à Beyrouth contre l'aveuglement des dirigeants politiques libanais lors de la visite d'E Macron le 1er septembre ©AFP - Karine Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Des manifestants à Beyrouth contre l'aveuglement des dirigeants politiques libanais lors de la visite d'E Macron le 1er septembre ©AFP - Karine Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Des manifestants à Beyrouth contre l'aveuglement des dirigeants politiques libanais lors de la visite d'E Macron le 1er septembre ©AFP - Karine Pierre / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Au Liban, la France vient d’essuyer un premier revers : la date limite fixée par Emmanuel Macron pour que soit formé un gouvernement a expiré hier soir. Ce premier échec montre bien à quel point le pari de la France au Liban est risqué. C''est le monde d'après.

On l’a bien compris : après l’explosion dans le port de Beyrouth début août, Paris a mis tout son crédit sur la table. Avec deux déplacements d’Emmanuel Macron sur place en moins d’un mois. Et un investissement diplomatique incessant. Quand Paris dit, aujourd’hui, « suivre attentivement la situation », ce n’est pas une formule de politesse. De source sûre, je peux vous assurer que les diplomates français au Liban sont directement impliqués dans les discussions sur la formation du gouvernement.

Pourquoi un tel investissement ? Par démarche sincère, parce que la France a des liens profonds, anciens, affectueux avec le Liban. Parce que Paris y voit une occasion de se replacer dans le jeu géopolitique au Proche-Orient. Par réflexe paternaliste de l’ancienne puissance tutélaire. Il y a sans doute un peu de tout ça mélangé.

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Mais une chose est sûre : quand on met tout son poids dans la balance, on prend aussi un risque. Si échec il y a, il n’en sera que plus sévère. Et pour l’instant ça patine. Le 1er septembre, Emmanuel Macron avait donc donné 15 jours aux partis libanais pour composer un gouvernement qui relève le pays. Et qui soit idéalement composé de techniciens. On est loin du compte. Le délai est dépassé. Toute décision est reportée à dimanche au plus tôt. Les techniciens ont disparu. L’électrochoc n’a toujours pas eu lieu.

La plaie de la répartition confessionnelle des pouvoirs

Et ça peut échouer totalement. Regardons sur quoi bloquent les négociations de formation du gouvernement.

Elles bloquent d’abord sur l’attribution du portefeuille des Finances. Tout sauf un point de détail. Quand on sait à quel point toutes les mesures clés nécessaires au redressement du Liban passent par les finances : réformes de la banque centrale, de la fiscalité, de l’attribution des marchés publics, du système de distribution d’électricité, etc.

Et en plus, ces discussions bloquent, comme d’habitude sur la répartition des portefeuilles entre confessions. En l’occurrence, les chiites (le Hezbollah et le mouvement Amal) revendiquent les Finances comme leur propriété. Cette répartition des pouvoirs entre les confessions, c’est le grand mal du Liban. Elle remonte à l’éclatement de l’empire Ottoman il y a 5 siècles. Elle a été entérinée à l’indépendance. Et maintenue à la fin de la guerre civile en 1990, malgré les engagements d’en sortir.

Géopolitique
2 min

Résultat : le chef de l’État est forcément chrétien, le premier ministre forcément sunnite, le président du Parlement forcément chiite. Et tout est à l’avenant. Du coup, par effet en chaine, ces clans confessionnels détiennent tout le pouvoir : achat des votes, postes dans la fonction publique, accès à l’école, gestion de l’état civil, etc. Avec en haut de la pyramide, des parrains, toujours les mêmes depuis 50 ans : les Berri, Aoun, Hariri, etc. 

Et cette fois encore, on semble reparti pour un tour de ce bonneteau qui fait mourir le pays à petit feu.

Beaucoup de marionnettistes à l'étranger

La France menace bien tous ces dirigeants claniques de sanctions. Et elle conditionne le déblocage de l’aide internationale de 11 milliards à des réformes profondes. Mais il n’est pas dit que cette menace suffise. La raison est simple : pour tous ces clans, abandonner le confessionnalisme serait un suicide politique. Donc ça continue.  C’est un peu comme l’orchestre qui continue de jouer à bord du Titanic.

Et puis la France est un peu seule dans cette affaire. Les autres puissances extérieures n’ont pas nécessairement intérêt à ce que change :

  •    La Syrie veut garder son influence sur le pays, 
  • -       L’Iran maîtrise le Hezbollah chiite lourdement armé, 
  • -       L’Arabie Saoudite veut garder le contrôle sur les dirigeants sunnites, 
  • -       Israël et les États-Unis voudraient se débarrasser du Hezbollah mais n’en ont pas les moyens.

Bref, c’est un champ de mines avec beaucoup de marionnettistes. A tout prendre, chacun préfère le statu quo. Seule la population libanaise, la rue, pourrait avoir le pouvoir de faire exploser le système. Mais elle essaie depuis déjà plus d’un an, sans succès.

Le pari de la France au Liban est donc louable, pour aider ce pays qui s’enfonce dans la détresse économique et le chaos politique. Mais le chemin est très étroit. Il y a beaucoup de coups à prendre.