Le bras de fer entre Emmanuel Macron et Recep Teyip Erdogan continue. Le président turc appelle au boycott des produits français et met en cause « la santé mentale » d’E Macron après ses propos sur la liberté de caricature. Mais le plus frappant c'est en fait le ton mezzo voce de nos partenaires. C'est le monde d'après
Au premier coup d’œil, la virulence du mano à mano saute aux yeux. Les propos du président turc sont d’une violence déplacée. Grossiers dans leur formulation sur la santé mentale du président français. Et plus qu’outranciers dans leur contenu, quand il compare par exemple la situation des Musulmans en Europe à celle des Juifs juste avant la Seconde Guerre Mondiale.
En face, Emmanuel Macron se tient droit dans ses bottes. A juste titre après le sauvage assassinat de Samuel Paty, il affirme
Nous ne renoncerons pas aux caricatures
, il défend le droit à blasphémer qui est l’une des incarnations de la liberté d’expression. Et il rappelle à Paris l’ambassadeur de France en Turquie, un geste sans précédent depuis un siècle.
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Bref, le ton monte. Donc oui c’est spectaculaire. Mais c’est aussi un jeu de rôles, certes excessif, mais convenu. Il s’agit de chaque côté de désigner un adversaire pour mieux resserrer les rangs dans son propre camp. Et il s’agit, dans le cas d’Erdogan, de se poser en concurrent de l’Arabie Saoudite comme leader du monde musulman, tout en cachant sous le tapis ses échecs économiques à l’intérieur de la Turquie.
Ça n’en rend pas moins la situation volatile et inquiétante, mais c’est un cas classique d’instrumentalisation de la religion à des fins politiques. Chacun dans le rôle qu’on attend de lui. Et les conséquences économiques réelles de l’éventuel boycott restent à démontrer.
Des condamnations mollassonnes
Les ambiguïtés occidentales sont moins spectaculaires mais disent peut-être plus de choses. Évidemment, plusieurs leaders européens, l’allemande Merkel, le néerlandais Rutte, l’italien Conte, le portugais Costa, le chef de la diplomatie des 27 Borrel condamnent les propos d’Erdogan. Cela dit, c’est bien le moins !
Et surtout quand on observe attentivement ces réactions, elles sont, somme toute, un peu mollassonnes. D’abord, tout le monde ne condamne pas. Par exemple, on attend toujours une prise de position du secrétaire général de l’OTAN qui est pourtant bien placé pour rappeler la Turquie à l’ordre sur un minimum de bienséance entre membres de l’alliance. Ensuite, la condamnation, quand elle a lieu, a tardé à venir : seulement cet après-midi pour Angela Merkel, après plus de 48h d’invectives signées Erdogan.
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Et puis surtout les condamnations ne concernent que les attaques personnelles, les propos ad hominem contre Emmanuel Macron : « diffamatoires » dit Angela Merkel. En résumé : ça ne se fait pas de se parler comme ça !
Mais sur le fond, la question du blasphème, les prises de position sont plus rares. Seul le néerlandais Rutte proclame le droit à la liberté d’expression. Alors bien sûr, on peut y voir le fait que personne ne veut vraiment se fâcher avec Erdogan : la Turquie est trop importante dans le dispositif de l’OTAN ou dans la maîtrise des flux migratoires aux portes de l’Europe. C’est de la realpolitik. Mais il y a aussi de l’embarras sur le sujet de fond.
Un gros embarras sur la laïcité française
En réalité, la position française sur la laïcité reste incomprise de ses partenaires. La France, de longue date, a du mal à faire comprendre à plusieurs de ses alliés que la laïcité ce n’est pas le rejet de la religion, ce n’est pas davantage l’athéisme, mais simplement une mise à distance des religions dans le débat public.
Par exemple, les Britanniques n’y entendent rien : ils voient historiquement dans le communautarisme religieux plutôt une garantie de cohésion sociale, l’inverse de nous. Et les États-Unis, où le poids politique de la religion est bien supérieur, ne comprennent pas cette notion de laïcité. Plusieurs articles récents du pourtant prestigieux quotidien New York Times en témoignent. Pour de nombreux analystes américains, la France est certes confrontée au terrorisme islamiste, mais elle est aussi dans le déni de son intolérance vis-à-vis de l’Islam et c’est une partie du problème.
Il y a donc un malentendu difficile à surmonter. Vue de France, la position d’Emmanuel Macron sur le droit à blasphémer relève de la droiture et du courage face au fanatisme. Vue de plusieurs autres pays Occidentaux, elle est perçue comme de la maladresse et du déni qui ne conduiront nulle part.
Le ministère des Affaires étrangères, nous dit-on aujourd’hui, va mobiliser tous ses moyens pour faire comprendre la position de la France sur les libertés et la religion. Le Quai d’Orsay aura fort à faire sur le sujet. Et pas seulement auprès du monde arabo musulman. Au moins autant auprès de nos partenaires.
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