Pourquoi il faut discuter avec les Talibans

Les Talibans sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul ce 31 août après le départ des derniers soldats américains
Les Talibans sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul ce 31 août après le départ des derniers soldats américains ©AFP - Wali Sabawoon / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Les Talibans sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul ce 31 août après le départ des derniers soldats américains ©AFP - Wali Sabawoon / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
Les Talibans sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul ce 31 août après le départ des derniers soldats américains ©AFP - Wali Sabawoon / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP
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Les Talibans sont donc depuis aujourd’hui totalement maîtres de l’Afghanistan, après le départ du dernier avion américain. Vu la nature du régime, il est évidemment tentant de couper totalement avec les ponts avec Kaboul. Mais il faut au contraire discuter avec les Talibans.

C'est contre-intuitif. C’est peut-être cynique. Mais il faut le faire quand même.

Évidemment que les Talibans sont antipathiques, rétrogrades, obscurantistes, à l’opposé des valeurs des sociétés occidentales. Évidemment que discuter avec eux, c’est se voir soupçonné de pactiser avec le Diable, façon accords de Munich avec Hitler. Mais il faut le faire quand même. Peut-être ne pas le dire, parce que c’est un peu tabou. Mais le faire.

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Et je vois au moins trois raisons à cela.

La première est une question de principe diplomatique : la diplomatie, ce n’est pas d’échanger des amabilités avec ses amis, c’est surtout de négocier avec ses ennemis. De chercher des compromis avec ses adversaires. Et d’agir en fonction du monde réel, pas du monde rêvé. En l’occurrence, le monde réel c’est que les Talibans dirigent aujourd’hui l’Afghanistan, que ça nous plaise ou non. Et puis l’Histoire est remplie de compromis avec ses ennemis. Parfois même d’alliances : que l’on songe à l’axe Londres-Washington-Moscou pendant la Seconde Guerre Mondiale.

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En plus, dans le cas qui nous intéresse, la France possède des liens de longue date avec l’Afghanistan. Par la culture, ou l’éducation. On pense par exemple au rôle symbolique du lycée français de Kaboul. D’ailleurs, les canaux de discussion existent déjà, sans quoi les opérations d’évacuation de ces derniers jours n’auraient pas pu se produire.

Des caisses vides

Objection évidente: les Talibans n’ont peut-être aucune envie de discuter avec nous ! Peut-être bien que non. Ou peut-être bien que si. C'est la deuxième raison.

Les Talibans de 2021 ne sont pas tout à fait ceux de 1996. Ils donnent l’impression, pour l’instant au moins, d’être en quête de légitimité et de reconnaissance internationale. Le seul fait que leurs dirigeants accordent des entretiens aux médias occidentaux, dont Radio France, en est une illustration.

Et puis surtout, ils ont besoin d’argent. Un besoin vital d’argent. Le pays est en lambeaux, les infrastructures manquent partout, le réchauffement climatique accentue la sécheresse, 90% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Et près de la moitié du budget national dépend de l’aide internationale. Or, tout est gelé depuis la chute de Kaboul. Plus de 8 milliards bloqués par la Réserve Fédérale américaine et par le Fonds monétaire international.

Les Talibans ont besoin de cette aide pour payer les enseignants, les juges, les fonctionnaires, les entreprises de travaux publics. Faire fonctionner les écoles, les cours de justice, les centres de santé, les transports. Il en va de leur légitimité auprès de la population afghane. Et s’ils veulent améliorer leur légitimité hors de leurs frontières cette fois, ils vont devoir restreindre leur autre source de revenus : la culture de l’opium.

Autrement dit, ces financements occidentaux sont un levier majeur. Un outil de négociation pour obtenir des contreparties : sur les droits des femmes, la liberté de la presse, la protection des ONG, la lutte contre les réseaux terroristes. C’est un pari. Il peut échouer. Mais il faut essayer.

La Chine, la Russie, la Turquie sur les rangs

Il faut d’autant plus essayer que sinon, d’autres vont prendre la place, parce que la nature a horreur du vide. Et si nous tournons totalement le dos aux Talibans, nous les pousserons d’autant plus dans les bras de ces régimes, des régimes autoritaires qui ont moins de scrupules et d’états d’âme. C'est la troisième raison.

En tête de liste, le voisin pakistanais, incarnation de longue date de l’ambiguïté vis-à-vis des islamistes afghans. L’Iran, voisin également, se réjouit de la défaite américaine à Kaboul et ménage les Talibans, malgré la rivalité chiite-sunnite.

Voisin encore et surtout, la Chine qui voit dans l’Afghanistan un corridor pour ses nouvelles routes de la Soie. Et une caverne d’Ali Baba pour les ressources minières : le cuivre, le lithium, les métaux rares. Pékin a déjà conclu un premier accord minier avec Kaboul. Et la Chine a reçu très officiellement une délégation talibane fin juillet.

Moscou a fait de même, courant juillet également. La Russie est sur les rangs. Et puis bien sûr, il y a le Qatar, partenaire assumé des Talibans. Et la Turquie, qui propose ses services pour gérer l’aéroport de Kaboul.

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Ça fait du monde sur les rangs. Autant de pays qui se méfient des Talibans en particulier de leurs liens avec le terrorisme d’Al Qaida. Mais autant de pays qui sont prêts à faire des affaires avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.

Leur laisser le champ libre n’est pas un bon calcul. Donc oui il faut discuter avec les Talibans. Sans naïveté. Ça ne donne pas envie, mais il faut le faire quand même.

La diplomatie n’est pas affaire de bons sentiments.