Les rebelles de la région du Tigré ont lancé une contre-offensive et repris les principales villes du Nord du pays. Au bout de 8 mois de conflit, l’Éthiopie est menacée de dislocation. Et ce qui se passe là-bas doit nous alerter d’urgence, y compris sur nos propres erreurs. C’est le monde d’après.
C’est tentant de regarder la guerre civile en Ethiopie d’un œil distrait sur le mode : c’est localisé, c’est loin de chez nous. En réalité, cet engrenage de violence (qui va de mal en pis), met en lumière plusieurs faits qui nous concernent directement.
Premier point : on s’est plantés. La communauté internationale, les Occidentaux, on s’est plantés. Ce n’est pas une première, mais là c’est flagrant. On a misé sur le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. Jeune, à peine plus de 40 ans, charismatique, moderne, il est apparu il y a 3 ans comme l’homme qui allait restaurer l’unité de ce pays divisé mais somptueux (et qui a toujours résisté à la colonisation). En 2019, Ahmed s’est retrouvé auréolé du prix Nobel de la paix.
2 ans plus tard, il faut se rendre à l’évidence : Abiy Ahmed est devenu un chef de guerre.
- Il a basculé dans le messianisme : sa conversion au pentecôtisme n’y est sans doute pas pour rien.
- Il privilégie l’ethnie des Amharas, la 2ème du pays, ancien soutien de l’ex empire dictatorial de Sélassié.
- Il s’est associé à l’ancien rival du Nord, la très autoritaire Érythrée pour mieux réprimer la rébellion sécessionniste du Tigré, cette région située à la frontière entre les deux pays.
- Et depuis 8 mois, il ferme les yeux sur les massacres et ce qui ressemble à une « épuration ethnique ».
Donc oui, on s’est bien plantés et du coup on se retrouve impuissants !
Les humanitaires pris pour cible
Plus inquiétant encore : les humanitaires sont impuissants. C’est le 2ème fait majeur qui doit nous alerter : en Éthiopie, les ONG sont prises pour cible. Délibérément.
C’est une évolution que l’on sent venir ces dernières années sur plusieurs terrains de conflit, par exemple récemment au Niger. Et là ça saute aux yeux : jeudi dernier, trois membres de Médecins sans Frontières sont morts au Tigré. Visés volontairement. MSF dénonce
« un assassinat brutal »
Les deux parties en conflit se renvoient la responsabilité du drame.
L’Onu peut bien dénoncer « une violation du droit international », le résultat est là. Les humanitaires ne peuvent plus travailler, c’est trop dangereux, beaucoup cherchent donc à quitter la zone.
Alors même que les habitants de la région ont cruellement besoin de soutien : 350.000 personnes souffrent déjà de famine, des centaines de milliers d’enfants sont menacés, 90% de la population dépend de l’aide alimentaire. Et les civils continuent de fuir devant les assassinats, les pillages, les viols.
Ajoutons que les humanitaires ne sont pas les seuls à être poussés vers la sortie. Les journalistes sont évidemment persona non grata dans toute la région. Et les télécommunications tout comme Internet sont régulièrement coupés. C’est plus sûr si l’on veut commettre des exactions à huis clos.
Un baril de poudre régional
Pour l'instant ça demeure malgré tout un conflit localisé mais jusqu’à quand ?
Officiellement, un cessez-le-feu a été proclamé par le pouvoir éthiopien. Mais le premier ministre Abiy Ahmed attend les résultats des récentes élections législatives (qui évidemment n’ont pas pu se tenir dans le Tigré). Pour restaurer sa légitimité et peut-être repartir à l’offensive. Les rebelles, eux, peuvent se sentir grisés par leurs victoires récentes et vouloir attaquer, soit vers l’Érythrée au Nord, soit vers la capitale éthiopienne Addis Abeba au Sud.
En tout état de cause, les velléités de sécession du Tigré prennent corps. Et la dislocation de l’Éthiopie n’est plus un fantasme. Et c’est là que ça peut entrainer des effets en chaine. L’Éthiopie est un géant, 2ème pays d’Afrique par la population. Autrement dit, tout le continent regarde.
Et puis surtout, l’Éthiopie est au cœur d’une zone instable :
- A l’Est, la Somalie confrontée aux Shebabs islamistes ;
- A l’Ouest, le Soudan, qui voit débarquer par dizaines de milliers des réfugiés du Tigré, alors qu’il croule déjà sous la pauvreté ;
- Au Nord, le régime militarisé et kafkaïen de l’Érythrée ;
- Sans oublier le Yémen, de l’autre côté du Golfe d’Aden mais tout proche à vol d’oiseau.
- Et l’Égypte, vent debout contre la volonté du pouvoir éthiopien de faire démarrer cet été un gigantesque barrage qui va limiter, en aval, le débit du fleuve Nil.
C’est une poudrière, avec des mèches allumées dans tous les coins.
C’est tentant de regarder la guerre civile en Éthiopie d’un œil distrait sur le mode : c’est localisé, c’est loin de chez nous. En réalité, cet engrenage de violence (qui va de mal en pis), met en lumière plusieurs faits qui nous concernent directement.
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